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Il neige sur le Lac Majeur

Il neige sur le Lac Majeur
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22 juin 2007

Quelques précisions

22 juin 2007

C'est la reprise après le long entracte du retour et des tâches domestiques urgentes à assumer.

Le chapitre 17 conclut le récit de mon voyage Liverpool-Montréal et de mon séjour de quatre semaines au Québec.

Chapitres mis en ligne aujourd'hui 22 juin, après un long entracte : chapitres 13 à 17.
Changements à noter dans la présentation de ces cinq chapitres par rapport aux précédents :
- Le texte est désormais présenté seul, sans illustrations. Celles-ci sont regroupées dans un album photos associé (un seul album pour les 3 chapitres du Saint-Laurent, sous le titre : 12-13-14 Saint-Laurent).
- Les commentaires que vous me ferez parvenir n'apparaîtront pas en ligne, sauf si je juge qu'ils peuvent intéresser l'ensemble des lecteurs (et avec l'accord de leurs auteurs). Cela dit, ça fait toujours plaisir de recevoir des commentaires, y compris s'ils signalent des erreurs.
Contrairement à ce que j'avais annoncé dans le dernier message intermédiaire, je conserve pour la fin de ce récit de l'aller l'ordre automatique de classement des chapitres (le premier qui apparaît est le dernier que j'ai mis en ligne). Je signale à ceux qui ne l'avaient pas encore remarqué que, dans la colonne de gauche, c'est le classement chronologique qui apparaît. Il suffit donc de cliquer sur le chapitre de son choix pour s'y rendre directement. Les deux ordres de présentation coïncideront dans le récit du retour, qui constituera un second blogue associé au premier.

Si le texte est maintenant complet, ce n'est pas encore le cas pour les photos : j'ai l'intention de proposer un album photos par journée de voyage, en complément des photos déjà insérées dans les pages des chapitres 1 à 12. Si je peux, je vais ajouter un album n° 18 avec la carte des positions quotidiennes du Flottbek à 12 h UTC. Si je peux aussi, j'ajouterai quelques petites vidéos.

Dernière précision : je n'ai pas réussi à obtenir une reproduction satisfaisante de cartes du Saint-Laurent. Il faudra donc vous en passer.

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22 juin 2007

17- Du 2 au 28 mai

02 - 28 mai 2007

Quatre semaines de rencontres



Page écrite le 29 mai à bord du Canada Senator en attendant le départ.

Je ne m'étends pas sur la vie de famille, sur le temps partagé avec Jean et Béatrice, sur mes tête-à-tête avec Jeanne, ni sur l'explosion du printemps à Montréal, avec des variations de température allant de 4 ou 5° à plus de 30°. A propos de tête et de Jeanne, quand même, cette anecdote datant du jour du départ, alors que j'allais pour la dernière fois la conduire au jardin d'enfants. Je venais de lui poser une question, je ne sais plus laquelle, dont je ne connaissais pas la réponse. Et elle, l'index sur le crâne : “ Réfléchis dans ta tête ! ” Et pas encore deux ans et demi !... Comment voulez-vous ne pas être papy gâteux ?
Pendant ces quatre semaines, vraiment perçues comme une longue escale, j'ai continué à vivre encore en grande partie dans le monde des bateaux à travers des rencontres multiples, inopinées ou provoquées.

ENTRE ANCIENS COMPAGNONS DE VOYAGE

Comme prévu au moment où nous avons débarqué, mes quatre compagnons de traversée sont venus dîner chez Jean et Béatrice le vendredi soir. Oui, les quatre : Laurence avait finalement réussi à mettre pied à terre, mais seulement en fin de journée le mercredi, libéré par un agent de l'immigration s'excusant de son retard. Nous avons mis en commun toutes nos photos et commencé à graver un DVD. Coïncidence ? Nous avions été trois à éprouver de légers vertiges environ 36 h après avoir débarqué. Le mal de terre ?
Depuis cette soirée, j'ai déjeuné une fois avec Rona qui avait déjà commencé son stage pour le festival Trans-Amériques. Elle a visiblement été séduite par Montréal et envisage d'y prolonger son séjour. Jean, Béatrice et moi avons reçu une gentille carte de Lucy, très heureuse de sa virée à Halifax. Stefan a pédalé assez vite jusqu'à Toronto où il a retrouvé de la famille éloignée puis a pris la direction des Etats-Unis en passant par l'île de Manitoulin, dans le lac Huron. Pour lui les rencontres intéressantes se succédaient. Aux dernières nouvelles, par téléphone, il arrivait à Sault-Sainte-Marie pour entrer aux Etats-Unis le 26 mai. Quant à Laurence, il m'a annoncé le 28 par courriel qu'il avait trouvé un job de cuisinier dans un restaurant végétarien de Montréal. Exactement ce qu'il recherchait. Comme quoi, la philo et la socio mènent à tout.
Le lendemain de mon arrivée à Montréal j'ai reçu un courriel de Jean-Pierre Aucher, avec qui j'étais en 4ème (mais pas dans la même classe) et que je n'ai jamais revu depuis plus de 40 ans. Il avait eu vent de mon voyage et me donnait les coordonnées de sa fille Céline, journaliste à La Charente libre, arrivée en juin 2006 à bord de l'Eilbek, sister-ship du Flottbek, et toujours présente à Montréal où son frère s'est installé. Je me suis évidemment précipité sur le blogue de Céline, et sur l'autre où elle raconte son aller-retour en voiture Montréal-Vancouver (presque comme Geneviève et moi en 1992 avec Jacques et Jo-Anne). Puis nous avons partagé nos expériences dans un petit restau marocain du marché Jean Talon.

LES SHIPSPOTTERS ENTRENT EN SCÈNE

Quelques jours après l'arrivée, je suis allé consulter le site de shipspotting pour voir si, par hasard, il n'y avait rien de nouveau sur le Flottbek. Bingo ! Marc Boucher, alias Speedo, était en embuscade au bon moment, le 1er mai, ce qui nous valait un magnifique cliché du Flottbek au pied du Château Frontenac. Double bingo ! Un peu plus loin, à l'embouchure de la rivière Chaudière, au passage des ponts, Steve Geronazzo était lui aussi en poste et avait saisi notre navire au moment où il rattrapait le MSC Sicily. (Voir photos dans l'album du Saint-Laurent)
Par chance, Steve donnait son adresse courriel sur le site. Je me suis empressé de prendre contact avec lui et nous avons entamé un abondant échange de messages. Grâce à lui j'ai pu joindre Marc Boucher et entrer aussi en relation avec Jacques Trempe, autre shipspotter. J'ai découvert ainsi ce réseau de passionnés qui savent tout sur les bateaux. J'ai communiqué à Steve toutes mes photos d'autres navires prises à partir du Flottbek, dont une, par exemple, d'un bateau au nom inconnu (de moi) pris à Liverpool. Dans les deux heures j'avais le nom et les caractéristiques du bateau en question !
Steve a fait passer certaines de mes photos sur le site, en indiquant l'adresse de mon blogue. Conséquence : alors que j'avais seulement communiqué cette adresse à mes “ commanditaires ” et quelques rares autres personnes, le blogue avait déjà été consulté, quand j'ai quitté Montréal, par 250 visiteurs différents d'Australie, du Brésil, de Russie et de très nombreux autres pays ! Autre conséquence : les shipspotters ont été mis en alerte par Steve pour guetter le Canada Senator. Le 27 mai, Marc Boucher a saisi son passage devant le Château Frontenac. Jacques Trempe (mais je ne sais pas où exactement) a pris plusieurs clichés dont un de l'arrière du bateau où l'on voit parfaitement les deux hublots de ma cabine. La descente du fleuve était attendue, elle aussi, dans l'espoir qu'elle se ferait de jour pour permettre des rendez-vous. Pour faciliter l'identification, j'ai annoncé que je porterais une casquette rouge et, si possible, un autre signe facilement reconnaissable dont je réservais la surprise. Il s'agissait d'un drapeau du Québec que j'ai acheté dans une boutique de la rue Saint-Hubert et qui m'a valu d'assister à une petite scène bien amusante (voir plus bas).

LE CAP-CHARLES PAR LA TERRE :
DELPHIS ET MONIQUE DUHAMEL


Le plus important était celui que j'espérais avoir avec Delphis et Monique Duhamel au Cap-Charles. Ce sont eux les “ marotteux ”, comme ils se définissent eux-mêmes, qui saluent les bateaux de passage. Une fois à Montréal, j'ai cherché à joindre par courrier postal le pilote Pierre Marchand (“ près de l'église de Gentilly ”, c'est tout ce dont je disposais comme adresse, et j'ai utilisé le code postal de ladite église) pour le remercier encore et lui demander les coordonnées de “ l'homme aux hymnes ”. Ma lettre est-elle restée en souffrance ? En tout cas je n'ai pas reçu de réponse. C'est alors qu'est intervenu Steve. Il n'avait pas entendu parler du Cap-Charles mais, grâce à un autre shipspotter il m'a vite fait parvenir les renseignements souhaités.
J'ai donc écrit (vivent les courriels !) à Delphis et Monique Duhamel pour leur dire mon désir de les remercier de vive voix. Leur invitation est arrivée par retour dans les minutes suivantes. Jean ayant laissé la voiture à ma disposition, j'ai donc fait la route le 24 mai par un temps estival qui avait mis dehors des cohortes de Harley (rive nord à l'aller jusqu'à Trois-Rivières, rive sud au retour). A mon arrivée, pourtant imprévue car ils m'avaient mal compris et m'avaient attendu la veille, j'ai eu droit au lever des couleurs et à une nouvelle Marseillaise chantée par Mireille Matthieu.
Arrivé vers 11 h, j'ai passé au Cap-Charles quatre heures merveilleuses avec deux personnes rayonnantes qui ne vivent que pour faire partager leur amour du fleuve et des bateaux. Delphis surtout est intarissable (au point qu'il n'est pas toujours facile de placer vos questions) mais Monique est toujours prête à ajouter un détail, rattraper un oubli. J'ai partagé avec elle des instants d'intense émotion dans la salle d'exposition quand nous avons évoqué les sentiments de tous les émigrants qui remontaient le fleuve et ceux des jeunes soldats canadiens qui le descendaient pour venir combattre chez nous (oh ! tous ces noms de gamins de 20 ans sur les croix du cimetière canadien de Courseulles-sur-Mer, un soir lumineux de juillet)...
Dans cette salle d'exposition qui rassemble des objets donnés aux Duhamel, on ne peut rater, en entrant, trois uniformes complets et authentiques de la marine nationale française : un uniforme d'été, un d'hiver et un de travail. En 1967, pour l'exposition universelle, le navire de guerre Colbert est venu à Montréal accompagné de trois navires d'escorte. A la descente, les trois escorteurs sont passés successivement devant le Cap-Charles sans qu'aucun ne réponde au salut des Duhamel. Ceux-ci, on s'en doute, étaient fort dépités, à tel point qu'ils ont failli rentrer chez eux sans attendre le Colbert. Un ami les a retenus et quand le navire est arrivé, quelle surprise et quelle émotion ! Tout l'équipage, en uniforme blanc, était aligné le long du bastingage. La sirène du bateau a retenti et tous les marins ont lancé en l'air leur bonnet à pompon !... Quelques années après, un ancien du Colbert (mais qui n'était pas à bord ce jour-là) leur a offert de grandes photos du navire et de ses escorteurs ainsi que les trois uniformes.
Thalassa, de G. Pernoud, a consacré une séquence à Delphis et Monique, auxquels se sont intéressés aussi un certain nombre de journalistes. Ils reçoivent l'été beaucoup de visiteurs (2000 en 2006) et je gage que ceux-ci ne repartent pas déçus, même s'ils n'ont pas comme moi la chance de partager les spaghetti bolognaise de Delphis et la tarte aux pommes à la crème glacée et au sirop d'érable nouveau de Monique. La bouteille de Corbières apportée était bien peu de chose au regard du plaisir éprouvé.
Chaque matin, les Duhamel dressent la liste des bateaux annoncés pour la journée. Sur son ordinateur, Delphis dispose du logiciel professionnel qui permet de localiser tous les bateaux entre le Labrador et New-York. Dans la maison et à l'extérieur, des haut-parleurs diffusent en direct les informations données sur la fréquence des pilotes. Les caractéristiques de n'importe quel navire du monde sont disponibles en permanence (tonnage, année de construction, noms successifs, nationalités des marins, puissance du moteur, etc., etc.), en particulier dans les grands registres des Llyods.
Pendant que je me trouvais au Cap-Charles sont passés un pousseur canadien descendant et un cargo hollandais montant. Tous deux ont eu droit aux pavillons (la tâche de Monique) et à la diffusion des hymnes (Delphis aux commandes). Tous deux ont été enregistrés dans les répertoires toujours tenus à jour. Pendant que résonnait l'hymne hollandais, j'observais avec la puissante longue-vue les deux hommes sortis de la timonerie du cargo, immobiles sur l'aile bâbord. La coque du bateau nous renvoyait le son des puissants haut-parleurs. J'en avais la chair de poule.
Pour plus d'informations sur le Cap-Charles, l'adresse du site : http://www.cap-charles.ca/

UNE RENCONTRE INATTENDUE,
UNE RATÉE, UNE ESQUISSÉE


En rentrant tout doucement vers Montréal par la route qui longe le fleuve d'assez près côté sud, j'ai retrouvé le cargo hollandais en face de Trois-Rivières. J'en ai pris plusieurs photos que j'ai ensuite envoyées à Steve. Je me suis arrêté à Verchères, à Varennes, pour repérer les lieux où opèrent les shipspotters, dont Marc Piché. Entre Verchères et Varennes, j'ai croisé une nouvelle fois l'Algoport, comme le 1er mai. Retournait-il encore chercher du sel aux îles de la Madeleine ? Photos encore, malgré une lumière médiocre.
J'allais oublier une autre halte, malheureusement décevante. A Gentilly j'ai essayé de trouver M. Marchand en cherchant autour de l'église, mais en vain. Les personnes interrogées (dont, sans doute, le curé, mais là je n'ai pas été trop surpris !) ne le connaissaient pas. Je n'ai pas osé aller au cabinet médical où travaille sa conjointe, et ma seconde bouteille de Corbières est revenue à Montréal.
Le même soir, j'ai trouvé un commentaire sur la dernière page de mon blogue. Il émanait d'une dame qui devait embarquer le lendemain sur le Flottbek avec son mari. Encore trop inexpérimenté dans l'administration du blogue, je n'ai découvert que deux jours plus tard – après le départ du Flottbek – que je pouvais accéder à l'adresse courriel d'Alison Hobbs et à l'adresse de son propre blogue : http://www.alisonh.wordpress.com/. Sur celui-ci, elle annonçait juste son départ en précisant que, pour revenir à Montréal, le Flottbek avait rencontré une violente tempête avec des vents de force 11 ! Je ne sais si je dois être satisfait d'avoir échappé à des conditions assez extrêmes ou regretter une expérience inoubliable. Je penche plutôt pour la satisfaction mais peut-être qu'avec le Canada Senator... (Coïncidence : Alison Hobbs vient de finir aujourd'hui même, comme moi, de mettre en ligne son récit de traversée. Une traversée beaucoup plus agitée que la nôtre ! A lire...)

Petite histoire de drapeau

Dans la boutique où j'attendais mon tour, deux messieurs d'environ 80 ans, devant moi, s'intéressaient aussi aux drapeaux. Selon toute apparence, des “ provinciaux ” en visite dans la grande ville. L'un d'eux avait déjà choisi un petit drapeau de Montréal mais il trouvait trop petit celui du Québec de la même taille et trop grand le seul autre modèle (qui me convenait, à moi, parfaitement). A côté du grand drapeau à la fleur de lys en étaient présentés trois autres à la feuille d'érable, de tailles différentes. “ Trop petit, trop grand... ” Les hésitations n'en finissaient pas à propos des deux seuls modèles du drapeau québécois. Finalement son compagnon dit au monsieur : “ Puisque c'est cette taille que tu veux, prends donc ce drapeau du Canada. ” Et l'autre, sincèrement indigné : “ Ah ben non ! On est bien au Québec, icitte, on n'est pas au Canada ! ” Quel dommage que je ne puisse pas restituer l'accent et le ton !

A suivre...

Ici se termine la première partie de mon récit. Le voyage retour sur le Canada Senator sera raconté dans un autre blog associé, à paraître prochainement, intitulé Vers Pénélope.
A bientôt.

22 juin 2007

16- 2 mai

Mercredi 2 mai 2007

Bye bye, Flottbek !



Une fois le Flottbek à quai, j'ai traîné 1/4 h à la passerelle puis regagné ma cabine. J'ai dormi tant mal que bien. A 6 h 15 j'ai ouvert les rideaux. Sans doute pour vérifier le bon état de marche de toutes ses composantes, une grue manœuvrait à vide au-dessus du navire. J'ai constaté que toutes les portes donnant sur l'extérieur avaient été verrouillées, ce qui a confirmé les conseils donnés aux passagers par le Guide des voyages en cargo pour le temps des escales. Amador était déjà à son poste aux fourneaux. Je lui ai demandé l'autorisation de sortir et je suis remonté sur la corniche de la passerelle...

BONJOUR MONTRÉAL

Le soleil se lève sur Montréal. Le ciel est clair, très lumineux. Nous arrivons avec le beau temps. Le Mont-Royal se cache un peu derrière les grandes grues jaunes mais, du haut du Flottbek, la vue porte loin sur les rues à angle droit de la grande cité. Sur la rive nord, toute proche ou paraissant telle, la tour oblique du stade olympique domine tout. Sur la gauche du bateau, deux tours d'aération. Les voitures apparaissent un peu plus loin, avalées ou recrachées par le tunnel Lafontaine. A droite, le poste de contrôle d'accès au terminal est tout proche. La sortie ne devrait pas être compliquée et Jean n'aura pas de peine à me trouver. Grâce à l'obligeance du chef-mécanicien et du capitaine, j'ai pu l'appeler hier soir de Trois-Rivières (toujours gracieusement) sur le téléphone portable du Flottbek. Nous avons rendez-vous vers 9 h.
L'atmosphère, un peu fraîche, est paisible, mais au sol on ne chôme pas. Déjà en cours cette nuit lors de notre arrivée, le chargement-déchargement du bateau voisin, le Maersk Patras, se poursuit. Les conteneurs sont apportés ou emportés par de longs camions à la cabine étroite et haute. Les grues lèvent ou reposent les charges, les bip-bip très sonores des engins en marche arrière vrillent sans cesse les oreilles. Mon attention est attirée par un haut portique au milieu duquel passent les camions chargés. J'apprendrai par la suite, dans la presse, qu'il vient d'en être installé plusieurs (une première au Canada) pour détecter la présence éventuelle d'éléments radio-actifs dans les conteneurs. 11 septembre, quand tu nous tiens...

DES FORMALITÉS PAS SI FORMELLES

A 7 h 30, nous voilà réunis pour l'ultime petit-déjeuner à bord. Rona demande à Reagan sa dernière soupe chinoise aux pâtes. La proximité de la séparation est très sensible. La dernière gorgée de thé ou de café avalée, il ne reste plus qu'à boucler les valises, ce qui est vite fait pour moi.
Vers 8 h 15 on nous annonce que la police (et la douane ?) est à bord et nous sommes invités à nous présenter un par un au bureau du pont 6. Reagan nous a distribué les formulaires de douane il y a déjà 48 h. Tous les papiers sont prêts. Je suis reçu le premier par deux hommes en uniforme. L'un d'eux seulement me parle, poli mais froid. Il ne me pose aucune question sur le contenu de mes bagages mais m'interroge sur les raisons de mon voyage en bateau, sur la durée de mon séjour (déjà indiquée sur le formulaire), sur mes projets au Canada... Je suis prié de remonter dans ma cabine chercher le document attestant que je dois repartir sur le Canada Senator. La feuille présentée (remplie de ma main et portant ma seule signature !) le satisfait mais, pendant ma courte absence, il a eu le temps d'examiner mon passeport. Il a besoin de l'aide de son collègue pour vérifier que le dernier chiffre inscrit sur la liste récapitulative des passagers (un 3 ou un 5 ?) est bien identique à celui du passeport. Il me demande les raisons de mon voyage au Burkina en novembre dernier. Il a raison : au cas où j'aurais séjourné dans un camp d'entraînement pour terroristes... Au fait, monsieur le policier, où est-ce le Burkina Faso ?... Il se décide enfin à apposer son tampon sur mon passeport.
Je descends mes valises dans le salon des passagers déjà encombré par les bagages de mes petits camarades. Stefan vient bientôt m'y rejoindre, un peu étonné que son passeport lui ait été rendu sans tampon, après un entretien moins inquisiteur que pour moi. Mieux vaut donc être cycliste suisse que retraité français en visite chez ses enfants. Lucy arrive à son tour puis, un peu plus tard, Rona. Celle-ci avait un peu peur de questions gênantes sur son-travail-qui-n'est-pas-un-travail, mais tout s'est bien passé pour elle aussi.
Au bout d'un moment, nous sommes étonnés de ne pas voir reparaître Laurence. Reagan égrène quelques notes sur sa guitare. Nous commençons à trouver le temps un peu long. Je pense à Jean qui doit se morfondre à l'entrée, et que je ne peux pas prévenir...
Enfin voici Laurence. Eh bien non ! on ne lui a pas rendu son passeport. Il n'a pas reçu l'autorisation de débarquer. C'est pour lui un coup dur évident mais sa maîtrise, son flegme, m'étonnent. So british... Commencent alors des allées et venues entre le salon, le bureau, le pont extérieur n° 6. D'après ce que nous comprenons, Laurence doit trouver les moyens de justifier de ressources suffisantes pendant son séjour (coordonnées de compte bancaire et/ou de carte de crédit). Il lui faut joindre d'urgence ses parents pour qu'ils obtiennent de la banque un document à transmettre par courriel (il est déjà 15 h passées en Angleterre)... Le capitaine et le chef-mécanicien se mettent en quatre pour faciliter les démarches mais l'ordinateur du bureau n'est pas connecté à internet, il faut aller à la salle de contrôle des machines...

UNE NAVETTE QUI NE VIENT PAS


Nous descendons nos bagages d'un étage, sur le pont extérieur n° 6. Le vélo de Stefan a déjà été remonté des cales, en parfait état. Tiens, si j'avais su, j'aurais peut-être pu obtenir des deux compagnies de navigation le transport de ma moto et rallier Liverpool par mes propres moyens ? En réalité, même en cas d'accord, certainement très problématique, j'aurais eu trop peur qu'elle supporte mal le voyage.
Le capitaine a demandé à terre que la navette vienne nous chercher. Une nouvelle attente commence, entrecoupée par les apparitions de Laurence. Nous assistons à l'embarquement d'un moteur électrique neuf en remplacement de celui qui s'est révélé défaillant le premier soir. D'où vient-il ? D'Europe, par avion, du Canada, des Etats-Unis ? Pour meubler l'attente nous observons le ballet continu des engins sur le quai. En ces circonstances, nous n'avons plus grand-chose à nous dire. Les membres d'équipage qui passent par là nous font tour à tour leurs adieux. Dernières photos. Des dockers et employés du port montent à bord... Et toujours pas de bus... Jean est-il encore à l'entrée ?
Finalement, le chef-mécanicien obtient d'un docker le prêt de son véhicule stationné au bord du quai, à l'arrière du Flottbek. Il se charge même de descendre une de mes valises et assure le chargement de la camionnette. Je pensais que les autres allaient descendre en même temps que moi mais ils sont toujours là-haut et le chef-mécanicien m'invite à monter à l'avant près de lui. Grands gestes d'au revoir. Je n'ai même pas salué le capitaine. Je demande à mon pilote de le faire pour moi.

RETROUVAILLES

L'entrée du terminal n'est en effet guère éloignée, même s'il n'est pas possible de la joindre en ligne directe. Je me retrouve donc très vite près des portes d'accès au port, avec mon sac et mes deux valises. Jean est là, qui se préparait à repartir. Nous chargeons la voiture mais revenons à l'intérieur de l'enceinte pour accueillir la deuxième “ livraison ” de passagers, et voici bientôt Stefan, Rona et le vélo. Nous avons déjà projeté de nous retrouver chez Jean et Béatrice pour mettre en commun nos photos et graver des DVD, mais sans pouvoir arrêter de date. Après concertation avec Jean et Béatrice (par téléphone), rendez-vous est pris pour vendredi soir. Laurence sera-t-il des nôtres ou reparti vers Liverpool avec le Flottbek ?
A deux ou trois reprises Jean et moi avons donc fait des allers-retours entre le parking extérieur et la zone portuaire en principe fermée. A aucun moment personne ne nous a rien demandé, aucun contrôle n'a été effectué, ni sur les personnes ni sur les bagages. Pour moi cela confirme que dans un tel terminal, les passagers comptent pour quantité complètement négligeable : seules comptent les grosses boîtes. C'est ce que Jean a ressenti aussi avant mon arrivée en tentant, pour avoir des informations, de parlementer avec l'homme préposé au contrôle d'entrée des camions. C'est ce que semble également indiquer notre attente vaine du bus.

Cette longue matinée est maintenant terminée. Je roule avec Jean sous le soleil. Première vraie journée de printemps sur Montréal, qui fait briller la neige sur le Lac Majeur...

22 juin 2007

15- Les noms du Saint-Laurent

15- Les noms du Saint-Laurent

En remontant le cours du fleuve...


Comme ça, juste pour le plaisir des mots, voici les noms que j'ai relevés sur la carte dont je disposais au retour et que j'ai bien regretté de ne pas avoir à l'aller. On y retrouvera des noms évoqués dans les chapitres précédents, et bien d'autres encore. Bestiaire et litanie...


LES AGGLOMERATIONS

Rive nord

DUPLESSIS :
Sept-Îles
Clarke-City
Gallix
Rivière-Sainte-Marguerite-en-Bas
Rivière-Brochu
Port-Cartier
Rivière-Pentecôte
Pointe-aux-Anglais

MANICOUAGAN :
Les Islets-Caribou
Baie-Trinité
Pointe-des-Monts
Godbout
Franquelin
Baie-Comeau
Pointe-Lebel
Pointe-aux-Outardes
Les Buissons
Chute-aux-Outardes
Ruisseau-Vert
Ragueneau
Papinachois
Betsiamites
Rivière-Bersimis
Les Îlets-Jérémie
Colombier
Saint-Marc-de-Latour
Forestville
Sainte-Anne-de-Portneuf
Pointe-au-Boisvert
Saint-Paul-du-Nord
Sault-au-Mouton
Baie-des-Bacon
Petits-Escoumins
Les Escoumins
Bon-Désir
Les Bergeronnes
Petites-Bergeronnes
Tadoussac

CHARLEVOIX :
Baie-Sainte-Catherine
Pointe-au-Bouleau
Baie-des-Rochers
Port-aux-Quilles
Saint-Siméon
Rivière-Noire
Port-au-Persil
Saint-Chrétien
Port-au-Saumon
Anse-au-Saumon
Saint-Fidèle
Bas-de-l'Anse
Mont-Murray
Cap-à-l'Aigle
La Malbaie
Rivière-Mailloux
Pointe-au-Pic
Saint-Irénée
Cap-aux-Oies
Les Eboulements
Saint-Joseph-de-la-Rive
Cap-aux-Corbeaux
Baie-Saint-Paul
Bas-de-la-Baie
Maillard
Petite-Rivière
Bergeron
La Grande-Pointe
L'Abattis


QUEBEC :
Sault-au-Cochon
Côte-MacLean
Petit-Débarquement
Cap-Brûlé
Petit-Cap
Beaupré
Sainte-Anne-de-Beaupré
Lapointe
Casgrain
Château-Richer
Laverdière
Le Moyne
Valin
Petit-Pré
Dufournel
L'Ange-Gardien
Boischatel
Québec
Cap-Rouge
Saint-Augustin-de-Desmaures
Neuville
Les Ecureuils
Donaconna
Jacques-Cartier
Cap-Santé
Portneuf
Deschambault-Grondines
Grondines

MAURICIE et LANAUDIERE :
Sainte-Anne-de-la-Pérade
Batiscan
Champlain
Cap-de-la-Madeleine
Trois-Rivières
Pointe-du-Lac
Saint-Ignace-de-Loyola (île Saint-Ignace)
Lanoraie
Lavaltrie
Saint-Sulpice
Repentigny
Charlemagne

MONTREAL

Rive sud

GASPESIE :
Grande-Vallée
Rivière-Madeleine
Madeleine-Centre
Manche-d'Epée
Gros-Morne
L'Anse-Pleureuse
Mont-Louis
Mont-Saint-Pierre
Rivière-à-Claude
Ruisseau-à-Rebours
Marsoui
La Martre
Cap-au-Renard
Ruisseau-Castor
Tourelle
Ruisseau-à-Patate
Sainte-Anne-des-Monts
Pointe-au-Goémon
Cap-Chat
Petits-Capucins
Capucins
Les Méchins
Petits-Méchins
Ruisseau-à-Sem
Ruisseau-à-la-Loutre
Grosses-Roches
Jaco-Hugues
L'Anse-à-la-Croix
Sainte-Félicité
Petit-Matane
Matane
Saint-Ulric
Baie-des-Sables
Les Boules
Métis-sur-Mer
Métis-Beach
Grand-Métis
Sainte-Flavie

BAS-SAINT-LAURENT :
Sainte-Luce
Pointe-au-Père
Rimouski
Sainte-Odile-sur-Rimouski
Le Bic
Saint-Fabien
Saint-Simon
Trois-Pistoles
Rivière-Trois-Pistoles
Saint-Eloi-Station
L'Isle-Verte
Saint-Georges-de-Cacouna
Cacouna
Rivière-du-Loup
Saint-Patrice
Notre-Dame-du-Portage
Saint-André
Saint-Germain
Kamouraska
Saint-Denis
Rivière-Ouelle
La Pocatière

CHAUDIERE - APPALACHES :
Village-des-Aulnaies
Saint-Roch-des-Aulnaies
Frenette
Saint-Jean-Port-Joli
Bourgault
Trois-Saumons
L'Islet-sur-Mer
L'Anse-à-Gilles
Cap-Saint-Ignace
Montmagny
Berthier-sur-Mer
Saint-Vallier
Saint-Michel-de-Bellechasse
Beaumont
Ville-Guay
Lévis
Saint-Romuald
Saint-Antoine-de-Tilly
Les Fonds
Sainte-Croix
Lotbinière
Vieille-Eglise
Bois-des-Hurons
Leclercville

CENTRE-DU-QUEBEC :
Deschaillons-sur-Saint-Laurent
Saint-Pierre-les-Becquets
Gentilly
Bécancour
Sainte-Angèle-de-Laval
Nicolet
Baie-du-Febvre
Notre-Dame-de-Pierreville
Saint-François-du-Lac

MONTEREGIE :
Sainte-Anne-de-Sorel
Sorel-Tracy
Saint-Joseph-de-Sorel
Contrecœur
Verchères
Varennes
Boucherville

Villages dans les îles

Île Verte :
Notre-Dame-des-Sept-Douleurs

Île aux Coudres :
Île-aux-Coudres
Cap-à-la-Branche
Saint-Bernard-de-l'Île-aux-Coudres
La Baleine

Île aux Grues :
Saint-Antoine-de-l'Isle-aux-Grues

Île d'Orléans :
Sainte-Pétronille
Saint-Pierre
Sainte-Famille
Saint-François
Saint-Jean
Rivière-Lafleur
Saint-Laurent


LES ILES

Sept-Iles :
Ile Petite Boule
Ile Grosse Boule
Ile Grande Basque
Ile Petite Basque
Ile Manowin
Ile du Corossol
Ilets de Quen

Ile Saint-Barnabé
Ile du Bic
Ile aux Basques
Ile aux Pommes
Ile Verte
Ile aux Lièvres
Les Pèlerins
Ile Brûlé
Ile aux Coudres
Ile aux Oies
Ile aux Grues
Ile au Canot
Ile de la Corneille
Ile du Cheval
Ile Longue
Ile à Deux Têtes
Ile Sainte-Marguerite
Ile La Sottise
Ile Patience
La Grosse Ile
Ile aux Ruaux
Ile Madame
Ile du Large
Ile à Valdor
Ile de la Potherie
Ile Saint-Quentin

Lac Saint-Pierre :
Ile Moras
Ile à l'Aigle
Ile Dupas
La Grande Ile
Ile aux Ours
Ile aux Castors
Ile Saint-Ignace
Ile de Grâce
Ile du Moine
Ilets des Joncs
Ile aux Raisons
Ile aux Fantômes
Ile au Cochon
Ile Saint-Jean
Ile Saint-Joseph

Ile Saint-Ours
Ile Lavaltrie
Iles de Contrecœur
Iles de Verchères
Ile à l'Aigle
Ile Sainte-Thérèse
Iles de Boucherville


QUELQUES AUTRES LIEUX
(N.B. : beaucoup de noms de villages reprennent un toponyme de baie, de cap... Ils ne sont pas répétés dans la liste ci-dessous)

Rive nord

DUPLESSIS :
Baie des Sept-Iles
Presqu'île Marconi
Baie Sainte-Marguerite
Pointe aux Jambons
Pointe à Luc
Baie des Homards
Pointe de la Rivière Est
Pointe aux Anglais
Pointe Bonman

MANICOUAGAN :
Pointe aux Morts
Pointe à Poulin
Pointe Steamship
Pointe à la Morue
Pointe des Monts
Pointe à la Perche
Pointe à la Croix
Baie aux Outardes
Pointe à Michel
Cap Colombier
Baie Blanche
Pointe Orient
Baie Laval
Baie des Escoumins
Pointe aux Vaches

MAURICIE - LANAUDIERE (Lac Saint-Pierre) :
Pointe à Bigot
Pointe du Lac
Pointe des Marais
Pointe de Yamachiche
Pointe aux Foins
Pointe à la Cavale

Rive sud

CHAUDIERE - APPALACHES :
Pointe-Platon

CENTRE-DU-QUEBEC :
Cap Charles
Cap à la Roche
Cap Lévrard
Pointe Paul
Pointe aux Roches
Pointe de Bécancour

Lac Saint-Pierre :
Pointe aux pois
Longue Pointe
Pointe Lussaudière
Pointe à Comtois

22 juin 2007

14- 1er mai - Saint-Laurent Chapitre 3

Mardi 1er mai 2007

Saint-Laurent - Chapitre 3
De Québec à Montréal



LE PLAISIR DE LA CONVERSATION


Comme aux Escoumins avec M. Roux, le capitaine était à la passerelle pour accueillir M. Marchand. Il est resté un moment à parler avec lui, puis il est redescendu. Il repassera de temps à autre. Je profite de son absence pour engager la conversation avec notre nouveau pilote, qui ne demande pas mieux. Il me donne le numéro du jour de La Presse et m'entreprend très vite sur la campagne électorale française (le second tour a lieu dimanche, et dès samedi à Montréal) : “ Est-ce que Ségolène va gagner ? ” Radio-Canada consacre cette semaine deux heures quotidiennes à l'élection avec ses envoyés spéciaux à Paris, et M. Marchand me cite les propos des uns et des autres.
Je vais passer avec le nouveau pilote autant de temps qu'avec le précédent. C'est lui qui va me donner de nombreuses informations sur les techniques de navigation (si nous naviguions de nuit et/ou par temps de brouillard, le silence absolu serait de règle dans la salle de timonerie, et il m'avoue qu'il lui arrive d'éprouver un stress très intense dans l'exercice de son métier ; il est aujourd'hui parfaitement décontracté, vu les conditions extérieures idéales, et j'en profite). J'essaie ici de restituer l'essentiel de ce que j'ai appris pendant la bonne dizaine d'heures passées avec deux hommes au contact extrêmement chaleureux, même s'ils sont très différents, mais qui ont en commun l'amour de leur métier, la passion de leur fleuve. Je leur suis infiniment reconnaissant de la grande gentillesse avec laquelle ils ont répondu à mes questions. Je le suis aussi à l'égard du capitaine qui ne nous a pas tenus à l'écart de la timonerie en présence des pilotes.
M. Roux a visiblement la fibre très écolo et s'intéresse de près à la faune du Saint-Laurent (qu'à l'évidence il connaît très bien), aux conséquences du réchauffement climatique, aux méfaits du développement industriel sauvage... Ces sujets semblent moins toucher M. Marchand qui, en revanche, aborde très directement des sujets de société et me livre ses opinions en matière de politique québécoise ou d'éducation. M. Roux le fait aussi un peu mais de façon plus distanciée. Chacun de mes interlocuteurs attire mon attention sur le grand nombre de clochers qui s'élèvent tout le long du fleuve, M. Roux pour sourire de l'esprit de clocher qui, comme chez nous, peut opposer un village à un autre, M. Marchand pour amorcer une critique de la religion, du poids du clergé sur les mentalités jusqu'aux années 1970. Il a visiblement des comptes à régler avec l'église et semble volontiers “ bouffer du curé ” : il aborde deux fois le sujet avec moi puis remet un peu plus tard le couvert avec le capitaine, en anglais (ce qui me permet, cette fois, de me tenir à l'écart). Tout y passe : le mariage des prêtres, la lecture littérale de la Bible, l'existence de l'enfer ou des limbes (remises en cause, justement, la veille ou l'avant-veille, par le pape lui-même)...

ALLONS-Z'ENFANTS...


Vers Lotbinière, les rapides du Richelieu, dont le courant couche les balises vertes et rouges et que bordent les hippopotames endormis, sont franchis vers 17 h 15. Plus loin, entre Leclercville et Deschaillons, toujours sur la rive sud, est une avancée des falaises appelée le Cap-Charles. Une propriété en occupe le sommet. Lors du dernier passage du capitaine à la passerelle, M. Marchand lui a expliqué que le propriétaire des lieux a commencé il y a déjà très longtemps à saluer les navires qui passent en hissant les couleurs et que, depuis quelques années, il a ajouté le son à l'image en diffusant sur une puissante sono les hymnes nationaux. Le capitaine a transmis l'information aux autres passagers en leur demandant de me la traduire. Nous devrions doubler le Cap-Charles vers 18 h 30, après le dîner.
Comme chaque jour, Reagan, très ponctuel, nous prie de passer à table. Un peu avant 18 h, M. Marchand appelle le capitaine par le téléphone intérieur : le Cap-Charles est en vue, nous devrions y être dans une dizaine de minutes. Pendant que les autres traînent un peu, j'avale les dernières bouchées à toute vitesse, passe en coup de vent prendre mon appareil photo dans ma cabine et escalade au plus vite les trois derniers étages par l'escalier extérieur (à tribord). Au moment précis où j'atteins l'arrière de la passerelle qui, avec les cheminées, me cache la vue sur bâbord, voici qu'éclate, très nettement audible... la Marseillaise ! Aussi vite que je peux je contourne la timonerie par l'étroite corniche extérieure sur l'avant et me porte à bâbord. Devant la maison du cap aux barrières blanches, dans le soleil, l'amoureux des bateaux a hissé le grand pavois. Au sommet du mât flotte le drapeau bleu, blanc, rouge et la Marseillaise (refrain, couplet, refrain) coule sur le Saint-Laurent. Et moi, tout seul sur mon perchoir (les autres enfin montés sont restés à l'arrière de la timonerie, près des cheminées), je filme de la main droite et je salue à grands gestes du bras gauche, jusqu'à la dernière note. Puis, alors que nous nous éloignons déjà, un autre hymne et un autre drapeau prennent la relève et le silence (relatif) revient... (J'ai appris plus tard – on verra comment – que le nouvel hymne et le nouveau drapeau étaient ceux des Philippines et que l'hymne et le drapeau allemand avaient précédé la Marseillaise.)
Je ne crois pas avoir l'esprit trop cocardier mais cette Marseillaise rien que pour moi, au milieu du Saint-Laurent, m'a profondément ému, m'a donné des frissons. Je les dois à M. Marchand, qui m'apporte l'explication de cette surprise. L'homme aux hymnes et aux drapeaux n'a pas le droit d'intervenir sur la fréquence utilisée par les pilotes, mais ceux-ci le savent à l'écoute. M. Marchand lui a précisé la nationalité du capitaine et signalé ma présence (en réalité, il n'a même pas eu besoin de parler du capitaine ; explication à venir). Est-il allé plus loin en demandant lui-même que soit jouée la Marseillaise ? Je l'ignore... Je suis un peu gêné de ce traitement de faveur vis-à-vis de mes amis suisses et britanniques mais je ne renie pas mon plaisir. Le petit pincement au cœur de Québec est oublié : alors que le Flottbek porte “ London ” à la poupe, on n'a pas entendu le God save the Queen ni vu hisser l'Union Jack. L'homme du Cap-Charles serait-il un Québéco-Québécois pur sucre (d'érable – de lapin – ah ! ah !) et moi, serais-je un tantinet chauvin ? Si peu, quoiqu'avec ces satanés Godons...

BONSOIR TANTINE !

Juste après le Cap-Charles, sur la rive sud encore, d'immenses troupeaux d'oies donnent l'illusion que le rivage est bordé d'une frange d'écume épaisse ou de neige (à propos : nous avons cessé de voir de la vraie neige dans les anfractuosités un peu après Québec). Encore plus fort : cette masse compacte se fractionne et s'envole en gros flocons innombrables à l'approche du navire. Dans la lumière de fin d'après-midi, le spectacle est captivant. Le souvenir me revient des envols de flamants roses à l'embouchure de l'oued Massa... C'est à ce moment-là que M. Marchand me fait part de son amour des oies... avec des fèves au lard.
Se succèdent aussi les vols d'oies bernaches, qui semblent aller d'une rive à l 'autre, en impeccables escadrilles en V.
Un peu plus loin, à tribord, se distingue sans peine l'embouchure de la rivière Sainte-Anne, puis celle de la rivière Batiscan, puis le village du même nom. M. Marchand me précise que De Gaulle a reçu dans tous ces villages un accueil triomphal lors de sa venue au et à Québec. Il garde lui-même, comme beaucoup de Québécois, un grand souvenir de cette visite. A Batiscan, me dit-il, de nombreuses maisons portent une plaque mentionnant la région d'origine de la famille : Poitou, Normandie... (L'ancêtre migrant de mon guide, un Lemarchand, est arrivé de Caen en 1660.) La rive est basse, de nombreuses maisons la bordent. M. Marchand réduit la vitesse du Flottbek pour éviter une vague trop forte qui ne manquerait pas de susciter des plaintes des riverains. Beaucoup plus éloigné, sur la rive sud, le clocher de Gentilly. “ Ma maison est juste à côté de l'église. Tout à l'heure, après avoir débarqué, il me faudra vingt minutes pour rentrer chez moi. ”
Une partie de la famille de M. Marchand réside à Champlain, au nord. L'une de ses tantes habite une grande maison blanche au bord du fleuve, tout près de l'église, elle aussi. Il a l'habitude de la saluer à chacun de ses passages. Quand nous arrivons juste à la hauteur du village, il fait retentir à quatre longues reprises la sirène du Flottbek, pour le signal convenu. Bonsoir tantine ! Mais tantine est absente, personne ne se montre au perron.
Panoramique sur la rive sud où, plus loin que le village, s'élève la centrale nucléaire de Gentilly 2, facilement repérable même si elle n'est pas dominée par les cheminées géantes auxquelles nous sommes habitués en Europe. Ce voisinage ne semble pas préoccuper outre-mesure M. Marchand. Les bernaches continuent d'écrire leurs partitions mouvantes au-dessus du fleuve. Le thermomètre marque 11,5°. Le jour baisse de plus en plus.
A l'approche de Trois-Rivières, la basilique Notre-Dame-du-Cap, horrible dôme meringué construit dans les années 1960, les cheminées et fumées d'usines, tout ce qui dépasse un peu de cette rive plate se détache très distinctement sur un fond de ciel multicolore qui annonce du beau temps pour les jours à venir. Au pied de la basilique, dans une sorte de bassin délimité par des quais, de nombreux pêcheurs trempent le fil.
A 20 h 30, M. Marchand quitte le Flottbek. Lors du passage au Cap-Charles le capitaine lui a confié un pavillon de la compagnie en cadeau pour la sentinelle aux drapeaux. Je lui renouvelle pour ma part mes remerciements. Le changement de pilote s'effectue rapidement, comme à Québec. La routine.
Je reste encore une bonne demi-heure à la passerelle, le temps d'assister, dans la quasi-obscurité, au croisement du MSC Messina et à l'entrée dans le lac Saint-Pierre, qui donne un peu l'impression de retrouver le large. Je rejoins ma cabine un peu après 21 h. Valises. Toilette. A 22 h, extinction des feux. La pleine lune brille sur le lac Saint-Pierre et il neige plus que jamais sur le Lac Majeur...

MONTRÉAL ENFIN, MONTRÉAL DÉJÀ


Un peu avant minuit, je rejoins à la passerelle Stefan monté un peu plus tôt. Lui non plus ne veut pas rater l'arrivée sur Montréal. Nous sommes déjà entrés dans des zones urbanisées. Les lumières sont très nombreuses de part et d'autre du chenal étroit. Je m'attendais à repérer Montréal de très loin, au moins par un fort halo, mais ce n'est pas le cas, surtout sans doute en raison de la pleine lune. Pourtant une lumière plus vive que les autres se distingue loin sur l'avant, à tribord, puis un point rouge plus haut et un peu plus à gauche. Lors de l'un de nos rares et brefs échanges, le pilote me confirme qu'il s'agit bien de la tour du stade olympique et de l'antenne au sommet du Mont-Royal. Au fur et à mesure que nous approchons, je parviens à identifier d'autres points de repère : le sommet pyramidal de l'un des plus hauts immeubles – mais je pensais voir une barre de gratte-ciel beaucoup plus lumineuse – et la croix blanche au pied de l'antenne du Mont-Royal.
Nous commençons à longer les installations portuaires bien avant de parvenir au terminal des porte-conteneurs. Le port en effet n'occupe qu'une bande de terrain étroite le long du fleuve, mais s'étend sur des kilomètres. Puis nous voilà déjà arrivés au pied des quatre grues jaunes géantes, répliques de celles de Liverpool, d'Anvers et d'ailleurs, visibles depuis déjà longtemps (je pourrai constater plus tard qu'elles le sont également du belvédère du Mont-Royal, du moins avant l'arrivée des feuilles sur les arbres). Le capitaine prend lui-même les commandes, à la console de l'aile tribord, à l'extrémité de la passerelle. Le Flottbek s'immobilise, parfaitement parallèle au quai, distant d'une trentaine de mètres. Ici, contrairement à Liverpool où l'amarrage a lieu dans un bassin après passage d'une écluse, toutes les manœuvres d'arrivée s'effectuent sans intervention d'un remorqueur. Jouant uniquement de l'hélice principale et de la petite hélice de proue, le capitaine rapproche tout doucement le navire du quai, mètre par mètre, tout en continuant à deviser et plaisanter avec le pilote qui se contente d'assister à la manœuvre. Pendant ce temps, le second communique avec les hommes chargés de l'amarrage à l'avant et à l'arrière. Stefan et moi ne perdons rien de tout ce qui se passe (enfin si, moi je perds quand même beaucoup de ce qui se dit mais j'ai grand plaisir à m'imbiber complètement de l'ambiance).
Enfin les aussières sont lancées. Les hommes du quai 77 coordonnent leurs actions avec celles des matelots. La coque a dû toucher mais je n'ai rien senti. Le capitaine coupe le moteur principal, les vibrations cessent, le silence s'installe. Il est 1 h 56. Nous sommes le mercredi 2 mai. Nous avons quitté Liverpool mercredi dernier. Comment une semaine peut-elle paraître si courte ? Départ le matin très tôt, arrivée dans la nuit, une semaine comme une seule longue journée, à écouter chanter la neige...

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22 juin 2007

13- 1er mai - Saint-Laurent Chapitre 2

 Mardi 1er mai 2007

Saint-Laurent - Chapitre 2
Des Escoumins à Québec



PETIT COUP D'ŒIL SUR LA FAUNE

Sevrés de rencontres avec des baleines ou des dauphins dans l'Atlantique, nous espérions tous (nous, les passagers) pouvoir en observer dans le Saint-Laurent. Nous avons hélas été en grande partie déçus car les baleines ne sont pas encore arrivées (j'ai peut-être une petite chance d'en voir au retour). En revanche, un peu en amont de Tadoussac et du Saguenay, nous avons pu voir d'assez nombreux bélougas, parfois par groupes de trois ou quatre. Heureusement que le vent était faible et que le Saint-Laurent ne moutonnait pas car nous pouvions ainsi distinguer plus facilement les dos blancs et ronds quand il effleuraient la surface pour venir respirer. Le troupeau de bélougas du Saguenay est le seul qui existe au sud du cercle polaire. Il serait implanté ici depuis des millénaires après le blocage de la sortie du fjord par un glacier. Il y a une vingtaine d'années on ne comptait pas plus de 300 individus mais, à la suite de l'interdiction de la chasse (sauf pour les Amérindiens à certaines conditions), leur nombre augmente environ de 10% par an.
M. Roux m'a confirmé que 2006 avait été une année à baleines exceptionnelle. Non seulement les rorquals communs étaient plus nombreux que les années précédentes mais 7 ou 8 baleines bleues ont fréquenté les eaux des Escoumins-Tadoussac. Domicilié à Québec avec sa famille, M. Roux occupe un logement aux Escoumins pour assurer son service, juste au bord de la petite baie. Ponctuellement, tous les soirs à 18 h, plusieurs baleines bleues venaient faire surface et se prélasser à deux ou trois cents mètres de ses fenêtres. Il paraît que leur souffle, très sonore, est encore plus impressionnant que celui des rorquals.
Quand j'ai commencé à questionner M. Roux sur les baleines, il a sorti de son sac un jeu de fiches de présentation de toutes les sortes de cétacés qui fréquentent le Saint-Laurent. Il est très attaché à la faune du fleuve et c'est lui qui a attiré mon attention sur les réserves d'oiseaux dans telle ou telle île, sur les bandes d'oies blanches – nous sommes en période de migration – posées sur l'estran et sur les premières oies bernaches rencontrées. Nous allions retrouver les unes et les autres en très grand nombre en fin de journée, après Québec. C'est aussi M. Roux qui m'a indiqué la possibilité de réserver des chambres pour des week-ends nature dans une maison de phare sur l'îlot de Brandy Pot, qui touche l'île aux Lièvres, à des conditions très abordables, paraît-il. Sauvage comme la plupart des îles du Saint-Laurent, celle-ci est parcourue de sentiers. On y récolte à la saison (mais je ne sais pas laquelle) le duvet d'eider.

D'ILE EN ILE, DE VILLAGE EN VILLAGE

Je n'ai rien dit encore des paysages rencontrés. Comment en donner une idée précise quand les photos elles-mêmes sont très insuffisantes pour rendre compte de l'espace, ici autant qu'en pleine mer ? Assez gris pendant toute la matinée, le temps ne permettait pas de porter le regard très loin au-delà des rives, quand on les apercevait. Après les Escoumins, et surtout après le Saguenay, nous avons longé d'assez près la rive nord, parfois assez escarpée, mais il n'était guère possible de distinguer les Laurentides en arrière-plan. A mon grand regret nous avons manqué l'aperçu sur Tadoussac et l'embouchure du Saguenay car nous étions à la salle à manger pour le petit-déjeuner.
C'est justement à partir de Tadoussac que les deux rives se rapprochent nettement et sont visibles simultanément, bien que le fleuve puisse encore être large d'une vingtaine de kilomètres. On commence à voir les clochers se succéder sur la rive sud où les villages agricoles sont nombreux. Cela ne cessera pas jusqu'à l'approche des zones urbaines près de Montréal. Sur la rive nord beaucoup plus sauvage, ils sont beaucoup plus espacés et situés au bord même du fleuve. Ce sont maintenant essentiellement des villages dédiés au tourisme après l'avoir été à l'exploitation forestière, à l'industrie papetière, voire à la pêche.
Après Saint-Siméon, d'où part un traversier pour Rivière-du-Loup, on rencontre la Malbaie. M. Roux me confirme ce que je supposais grâce au toponyme : les naufrages ont été nombreux à cet endroit. Les capitaines croyaient se mettre à l'abri dans cette baie et se faisaient surprendre par les vents violents descendus de la montagne.
Puis nous voilà à l'île aux Coudres, toute proche de la rive nord. C'est pourtant entre l'île et la rive que passe le chenal, tout en courbes, alors que le lit principal du Saint-Laurent semble complètement dégagé mais manque de profondeur. A la sortie de ce passage étroit, on aperçoit Baie-Saint-Paul, d'où sont originaires les deux fondateurs du fameux Cirque du Soleil. Ceux-ci ont commencé leur carrière sur des échasses dans la cour de l'église pour distraire les enfants du village. Puis ils ont créé une petite troupe à Québec avant de gagner Montréal et de donner naissance à la multinationale mondialement connue (cinq troupes permanentes à Las Vegas, d'autres en Amérique du Nord, en Europe...). Mais ces fondateurs sont restés très attachés au Québec et à leur Charlevoix d'origine : non seulement les différentes troupes emploient beaucoup de Québécois (artistes mais aussi habilleuses, machinistes...) mais ils investissent sur place où ils ont fait bâtir. L'un d'eux a même racheté tout ou partie d'un important domaine skiable voisin.
Le massif des Eboulements, entre la Malbaie et Baie-Saint-Paul, représente une particularité géologique. Situé au point de rencontre des Appalaches, auxquels se rattache l'île aux Coudres et qu'on aperçoit au loin sur la rive sud, et des Laurentides dont on devine les hauteurs au nord, il serait la résultante de la chute d'un météorite géant, voilà quelques millions d'années. Il aurait été formé à la manière d'une goutte d'eau soulevée verticalement par l'impact d'un caillou dans une mare qui retomberait solidifiée (cela me rappelle un spot publicitaire télévisé où l'on voit une cacahuète tomber dans une nappe de chocolat...).
Un peu plus loin, des pistes de ski encore enneigées, parfaitement visibles. Sur les flancs de la montagne, elles tombent vers le fleuve comme des fusées de feu d'artifice redescendent en gerbe après l'explosion de la fusée-mère. Il paraît que, lorsqu'on skie sur ces pistes, on a l'impression de plonger directement dans le fleuve. Candidate pour de prochains jeux olympique d'hiver (mais la candidature n'a pas été retenue), la ville de Québec comptait sur ce massif pour y organiser les épreuves de ski alpin. Le sommet en a même été surélevé pour permettre l'homologation des pistes de descente.
Entre l'île aux Coudres et l'île d'Orléans, de nombreuses autres îles de taille variable jalonnent le fleuve du côté sud. L'une d'elles, de belle dimension, est la propriété de l'ancien PDG de l'entreprise Bombardier (trains, avions – les fameux Canadair, entre autres –, scooters des neiges, etc). Une “ petite ” résidence secondaire en occupe la pointe amont. Les îles à vendre sont assez peu nombreuses mais d'après M. Roux, sur les 42 îles recensées, il n'est pas impossible d'en trouver : il a vu récemment une petite annonce, d'un montant de trois millions de dollars (canadiens, évidemment – à ce prix-là c'est donné !) pour une des deux îles actuellement en vente.
Juste avant de nous engager dans le bras sud de l'île d'Orléans, nous apercevons de nombreuses oies sur l'estran et, en arrière-plan, sur la rive nord, les deux flèches de la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré. Cet endroit, la pointe aval de l'île d'Orléans, marque à peu près la limite jusqu'à laquelle la marée montante peut inverser le courant (sans pour autant que se forme un mascaret). A partir de maintenant nous allons naviguer en eau complètement douce et l'écume de la vague d'étrave sera moins blanche et moins dense. La marée n'en continuera pas moins de se faire sentir longtemps encore, au moins jusqu'à Trois-Rivières.
Pendant que l'île défile à tribord (c'est un peu perturbant de remonter le cours du fleuve tout en faisant cap au sud-ouest), les silos et les granges se succèdent sur la hauteur, confirmant la vocation agricole en même temps que touristique de l'endroit (les “ Couette et Café ” dans les fermes y sont nombreux). A la pointe amont pourtant, ce ne sont plus des fermes qu'on peut deviner à travers les arbres encore sans feuilles mais les luxueuses résidences secondaires de Sainte-Pétronille, tout autour d'un golf. S'y retrouvent des grandes familles de Québec mais aussi de Montréal, souvent anglophones. Il y a actuellement dans les cartons deux projets de terminaux méthaniers à proximité de Québec dont l'un sur la rive sud, en face de Sainte-Pétronille. Les habitants de la rive sud directement concernés, à qui l'on proposerait trois fois le prix de leurs propriétés, seraient d'accord en grande majorité, mais il semble que ce projet ait peu de chances de voir le jour. Allez savoir pourquoi... Certainement pour des raisons écologiques...
Au débouché de l'île, un peu en arrière sur la rive nord, apparaît la barre blanche verticale des chutes de Montmorency, plus hautes (de trois mètres, si mes souvenirs sont exacts) que celles du Niagara, mais beaucoup moins larges, évidemment. En hiver, quand il fait bien froid, l'écume projetée, en gelant, forme juste devant la chute principale une stalagmite géante, le “ Pain de Sucre ”, qui peut atteindre 35 mètres de haut. Je me rappelle notre visite ici en famille, à Noël 2001...

QUÉBEC-CITY


Et voici Québec, Québec-City, comme disent mes compagnons de voyage. Les gratte-ciel ont commencé d'apparaître en contre-jour au-delà d'une courbe du fleuve avant même la fameuse ligne électrique de 730 000 volts et les petits châteaux de Sainte-Pétronille. Sur la rive nord, après la raffinerie où viennent accoster les pétroliers, le port. Le Flottbek ralentit, presque au point de s'arrêter. Arrive vers nous de toute la puissance de ses moteurs la vedette des pilotes, qui se range bientôt le long de la coque tribord, au pied du gangway. Il est 14 h 30. Marc-Olivier Roux et Pierre Marchand se croisent sans se voir, le premier empruntant l'escalier intérieur, à bâbord, et le second l'escalier extérieur. Je le prends en photo au moment où il atteint le niveau de la passerelle. Chemise à petits carreaux, gants de cuir noir, élégant, fringant, M. Marchand porte allègrement ses 65 ans.
A bord, depuis ce matin, tous les officiers ont endossé l'uniforme. Le second a même opté pour la chemise blanche, sur laquelle les trois galons ressortent nettement. Il est vrai que le soleil est maintenant de la partie et que la température a remonté, mais ce ne sont quand même pas les grosses chaleurs (13°).
Le Flottbek a remis en route. A vitesse réduite, nous passons Québec en revue. Au fur et à mesure que nous avançons, le contre-jour se fait moins violent et les détails se distinguent mieux. Nous ne pouvons rêver de meilleur belvédère et nous avons sur la ville un point de vue rêvé, en hauteur et à distance rapprochée : les habitants de Lévis, sur l'autre rive, ont la hauteur mais non la proximité, les passagers des traversiers ou autres embarcations sont condamnés à la contre-plongée. De plus, nous pouvons maintenant nous poster à l'extérieur de la passerelle, sur l'étroit passage à claire-voie qui en fait le tour. Vue directe et imprenable sur le Cap Diamant, le Château Frontenac, la vaste esplanade de bois, la longue glissoire qui y plonge (ah ! les descentes vertigineuses sur les “ traînes de sauvages ” !), la promenade et les escaliers de bois accrochés à flanc de falaise, la citadelle, les Plaines d'Abraham, le haut immeuble au restaurant panoramique tournant... Tous ces lieux, déjà visités plusieurs fois, en hiver comme en été, me sont assez familiers mais je les redécouvre d'un œil neuf, émerveillé. Alors qu'en haut de la falaise tout paraît presque immobile, l'activité au ras du fleuve semble encore plus intense, vue de notre perchoir : camions et voitures font la queue sur la route du “ front de fleuve ”, des bateaux de toute taille entrecroisent leurs trajectoires...
Même si les nombreuses boutiques offrent beaucoup de souvenirs frelatés, j'aime le Petit Champlain, surtout sous la neige avec les illuminations de Noël ou les sculptures de glace du carnaval, j'aime les remparts et les rues de la ville haute, j'aime Québec et son poids d'histoire. Je craignais au départ de Liverpool de passer ici de nuit, de ne voir de la ville que ses lampadaires. Crainte déjà dissipée voilà plus de 48 h, quand l'heure approximative de passage a été connue. Je ne suis donc pas déçu. Depuis la Gaspésie, mes pensées vont sans arrêt aux explorateurs et à tous ces paysans de chez nous qui remontaient le fleuve pleins d'espoirs et d'appréhensions mêlés, tous les Champlain ou Maisonneuve, tous les Boulais, les Chabot, les Favreau... Un seul regret, un petit pincement au cœur en longeant les Plaines d'Abraham, où s'est joué l'avenir non seulement de la province mais de tout le Canada : juste au-dessus de ma tête flotte le pavillon britannique... Toujours est-il que j'attendais ce moment comme un grand moment. C'en est un. Nous passons l'embouchure de la rivière Chaudière et les deux ponts routiers entre les deux rives (le plus ancien est célèbre pour s'être écroulé trois fois depuis sa construction). Juste après, le fleuve redevient un peu plus large. Nous sommes aux basques du MSC Sicily, que nous avons progressivement rattrapé depuis ce matin. Après s'être mis d'accord avec le pilote du cargo italien, à 15 h 15 M. Marchand engage le Flottbek dans un dépassement tranquille, assuré qu'il n'y a personne en face. Périodiquement, le centre de contrôle (Trafic Québec, si je me souviens bien) donne les informations sur  la situation des bateaux, les hauteurs d'eau, etc.

26 mai 2007

12- 1er mai - Saint-Laurent Chapitre 1

Mardi 1er mai 2007

Saint-Laurent - Chapitre 1

Pour les lecteurs et lectrices peu familiarisés avec la géographie du Québec, des cartes seraient bien utiles pour bien suivre les chapitres consacrés à la remontée du Saint-Laurent. Elles sont prévues mais au moment où je mets les premières pages en ligne (25 mai), je ne dispose pas des moyens de les reproduire. A vos atlas ou autres cartes sur internet !

LES PILOTES DU SAINT-LAURENT

Au moment où j'écrivais “ J'y vais... ”, nous approchions déjà des Escoumins, sur la rive nord, où nous devions embarquer le premier pilote de la journée. En quittant ma cabine, je suis directement monté à la passerelle où j'ai noté la position. Il était 5 h 40. Le Flottbek a encore beaucoup ralenti et, un peu après 6 h, sur une eau parfaitement plate et tranquille, M. Roux, 38 ans, est monté à bord par le gangway, la passerelle latérale extérieure, déployé le long de la coque tribord. Opération moins acrobatique qu'à Liverpool, où le pilote était descendu par l'échelle de corde aux échelons de bois.

01L'arrivée de la vedette qui amène le premier pilote à bord du Flottbek" Au fond, le petit port des Escoumins.

L'embarquement d'un pilote est obligatoire pour les navires entre les Escoumins, en aval de Tadoussac, et Montréal. Pour le Flottbek, assez rapide, cette distance est parcourue en dix-huit heures environ, en trois tronçons de durée à peu près équivalente : les Escoumins-Québec, Québec-Trois Rivières et Trois-Rivières-Montréal. En réalité il nous a fallu deux heures de plus car la marée basse, d'une amplitude de 6,15 m, nous a obligés à réduire la vitesse.

Les pilotes du Saint-Laurent, au nombre d'environ 180, sont répartis en deux sociétés privées qui prennent respectivement en charge le premier tronçon (pilotes du Bas Saint-Laurent) et les deux suivants (pilotes du Saint-Laurent Central, dont le site fourmille d'informations intéressantes :

http://www.cpslc.com/).

05Rona et Stefan en conversation avec M. Roux, embarqué aux Escoumins.

Sous contrat avec le gouvernement pour des durées de cinq ans, ces deux sociétés, dont les pilotes eux-mêmes sont propriétaires et actionnaires, bénéficient de fait d'une situation de quasi-monopole. Elles existent depuis la seconde moitié du XIXème siècle et se sont souvent trouvées en conflit avec les armateurs canadiens mais, jusqu'à présent, le rapport de forces a toujours tourné en leur faveur. Le règlement autorise bien les commandants de navires canadiens, par dérogation, à assurer eux-mêmes leur pilotage d'après les mêmes critères que pour les pilotes professionnels (diplômes, années de commandement au long cours, aptitude physique...) mais au nombre de ces critères figure le bilinguisme. Comme par hasard, les sociétés de navigation et les commandants sont presque exclusivement anglais (pour les lecteurs français je traduis : “ canadiens-anglais ”), si bien que les commandants autorisés à piloter eux-mêmes sont très rares. Ainsi donc, derrière la lutte corporatiste (si j'en juge d'après les propos entendus, il y a chez les pilotes un esprit de corps proche des confréries compagnonniques, incluant le partage de secrets relatifs à la navigation), se profilent les traditionnels clivages – voire les antagonismes – entre le Québec et les autres provinces. J'ignore si cette explication est suffisante, mais je la présente telle qu'elle m'a été donnée.

LES LACQUIERS

Les bateaux canadiens ou étatsuniens qui naviguent sur le Saint-Laurent sont essentiellement des lacquiers (lakers). Ces navires très reconnaissables ont été conçus en même temps que les écluses permettant l'accès aux Grands Lacs, dans les années 1960.

Longs et étroits, ils ne s'aventurent pas très loin au large. Les plus anciens ont une forme très particulière : le château est situé tout à l'avant. Il regroupe les cabines des officiers et la passerelle de commandement, d'où l'on peut parfaitement surveiller l'entrée “ au chausse-pied ” dans les écluses (l'espace entre la coque et les murs de l'écluse est réduit à quelques centimètres). L'équipage, lui, est logé dans la partie arrière où se trouvent aussi les machines.

Traditionnellement, sur tous les navires, existe une séparation bien nette entre le personnel dirigeant et le personnel exécutant. Sur les lacquiers, cette séparation hiérarchique est renforcée par l'éloignement spatial et, selon mon informateur, cette disposition a été dans le passé source de tensions, ce qui expliquerait en partie pourquoi les lacquiers plus récents comme l’Algoport sont revenus à une conception plus classique, avec château arrière.

02Un lacquier traditionnel dépassé par le Flottbek.

03L'Algoport s'en allait aux Iles de la Madeleine chercher un chargement de sel. On trouve en effet là-bas d'importantes mines de sel (il ne s'agit pas de sel marin) qui approvisionnent les villes canadiennes pour le salage des rues et routes en hiver. En ce début de mai, ces villes ont commencé à reconstituer leurs stocks.

UN TRAFIC EN CONSTANTE EVOLUTION

La navigation sur le Saint-Laurent a connu ces dernières années d'importantes évolutions, tant en ce qui concerne les types de navires et les compagnies de navigation que la nature des cargaisons.

Comme partout les grands paquebots de ligne, qui remontaient autrefois jusqu'au vieux port de Montréal, ont disparu. Seuls survivants, mais sur le mode de la croisière : le Queen Elizabeth II et le Queen Mary II (fierté des chantiers de Saint-Nazaire) qui poussent une ou deux fois par an jusqu'à Québec (ils ne peuvent aller plus loin en raison des deux ponts routiers qu'on trouve juste en amont de la ville). La clientèle anglaise qui fréquente ces palaces flottants prise également beaucoup le fameux Château Frontenac, hôtel de réputation mondiale, si bien que les voyagistes font d'une pierre deux coups en instituant Québec comme point de départ et d'arrivée de certaines croisières.

Les porte-conteneurs constituent l'essentiel du trafic vers Montréal qui est, sauf erreur de ma part, le principal port nord-américain de la côte ouest. Ils assurent évidemment les échanges avec l'Europe, le bassin méditerranéen et l'Afrique, mais j'ai été très surpris d'apprendre que certains des conteneurs du Flottbek arrivaient certainement de Chine ou d'autres pays asiatiques. Vancouver est en effet le seul port canadien de la côte ouest. Or, non seulement ce port manque de place pour s'agrandir (le trafic passagers y est très important pour les croisières vers l'Alaska et la Californie) mais le réseau ferré, que ce soit aux Etats-Unis ou au Canada, est trop peu développé pour desservir efficacement l'ensemble du continent et je suppose que le trafic routier est limité, d'ouest en est, par l'énormité des distances. Le transit par l'Europe peut donc être plus avantageux qu'une traversée du Pacifique pour acheminer des marchandises d'Asie au Canada ou aux Etats-Unis.

D'assez nombreux cargos, par ailleurs, depuis que les Etats-Unis ont assoupli leurs règles protectionnistes sur l'acier, apportent d'Europe du Nord et de l'Est de l'acier en tôles plates ou en rouleaux, destinées aux usines automobiles de Detroit ou d'Ontario, et repartent avec du blé des Prairies, canadien ou américain. Certains échanges sont plus étonnants : il arrive que des cargos arrivent de Finlande avec du papier et repartent pour la Finlande avec... du papier canadien ! Sans doute le grammage ou le grain sont-ils différents...

Il n'y a plus de navires français, sinon occasionnellement, sur le Saint-Laurent. La CMA-CGM a récemment tenté d'implanter une ligne régulière mais a renoncé faute de rentabilité. Même sous pavillon britannique pour des raisons fiscales, les Allemands sont encore présents avec les sisters-ships Flottbek, Eilbek, Reinbek et le Barmbek (merci, Steve !) qui toune entre Montréal, Livourne, Valence et Lisbonne. Allemand aussi le Canada Senator, que j'emprunterai au retour. Portugais et Espagnols, comme les Français, ont disparu.

Une compagnie italienne semble tenir une place à part. Il s'agit de la MSC, ou Mediterranean Shipping Company. Elle possède un grand nombre de navires, de croisière ou de transport, et fréquente le Saint-Laurent depuis quatre ou cinq ans. Le nom de beaucoup de ses cargos (de tous ?) a un lien direct avec la Sicile ou, au moins, avec la Méditerranée.

04Le MSC Sicily.



Ainsi, non seulement nous sommes sortis du port de Liverpool juste après le MSC Corsica mais nous avons sur le Saint-Laurent dépassé le MSC Sicily (écrit, d'ailleurs, à la poupe, en caractères grecs) et croisé le MSC Messina. Comme j'ai pu le vérifier avec plusieurs interlocuteurs, cette compagnie semble au moins aussi connue sous son sobriquet de Maffia Shipping Company que sous son véritable nom. On dit (mais on dit tellement de choses !) que les conteneurs des MSC qui arrivent à Montréal ou en repartent ne sont pas toujours pleins et que la compagnie, bizarrement, peut se permettre de travailler encore à perte. On dit aussi que, dans certains ports d'Amérique du Sud on peut voir parfois des voitures anonymes venir la nuit se ranger le long des quais et faire passer des paquets à bord de navires de la MSC... “ Légendes urbaines ”, comme on semble qualifier au Québec toutes les rumeurs ?... Les gens sont tellement méchants !... Moi, ce que j'en dis... Je ne veux d'ennuis avec personne !...

Ces quelques informations sur la fréquentation du Saint-Laurent sont loin d'être complètes. Une chose semble sûre : depuis une quarantaine d'années le nombre des navires a nettement augmenté, mais le tonnage des marchandises beaucoup plus encore car la capacité des cargos s'est accrue de façon très importante. Certains porte-conteneurs de 300 mètres peuvent transporter plus de 4000 “ boîtes ”.

LE PILOTAGE :

UN EXERCICE DE HAUTE VOLTIGE

Même si, en ce 1er mai, nous avons bénéficié de conditions idéales, j'ai pu me rendre compte que, sur le Saint-Laurent, le rôle des pilotes est primordial et requiert de très grandes compétences vu la complexité de la navigation. M. Roux et M. Marchand m'ont tous les deux avoué gagner très bien leur vie. Ils ne m'ont pas donné de chiffres et je me suis bien gardé de leur en demander, mais ils m'ont convaincu que le savoir-faire des pilotes représente, aussi bien pour les compagnies de navigation que pour le Québec et son environnement, une assurance de qualité et de sécurité qui justifie une haute rémunération.

Le tronçon le plus long, des Escoumins à Québec, est aussi le plus facile, avec un chenal souvent assez large, de longues lignes droites et de larges courbes, à part certains passages dont ceux de l'île aux Coudres ou de l'île d'Orléans.

06Approche de l'île aux Coudres. Quand on remonte le fleuve on a l'impression que la route est largement dégagée sur la gauche. En réalité le seul passage assez profond se situe entre l'île et la côte nord, avec un méandre très prononcé.



Je n'ai pas vu grand-chose entre Trois-Rivières et Montréal, sauf dans les deux dernières heures, mais je suis resté aux côtés de M. Marchand, entre Québec et Trois-Rivières, pendant plus de cinq heures et demie. Sur cette portion le fleuve est sinueux et le courant peut être très fort. Sur certaines sections le chenal est réduit à 245 m. Si un navire de 300 m se mettait en travers, son échouage interromprait complètement le trafic. Qu'on imagine un croisement entre deux bateaux de cette taille. On peut concevoir sans peine qu'un certain métier soit requis de la part des deux pilotes, surtout si le croisement a lieu de nuit, par temps de brouillard, à marée basse, dans les rapides du Richelieu, à mi-chemin environ entre Québec et Trois-Rivières : à cet endroit le Flottbek, seul en piste, avançait en surface à 20 nœuds mais à 12 nœuds seulement sur le fond en raison du courant contraire ; de chaque côté du chenal et à proximité immédiate, de très nombreux gros blocs de rocher, noirs et arrondis, parsemaient la surface, à la manière d'un immense troupeau d'hippopotames.
Rap_RichelieuLes rapides du Richelieu, où le courant peut atteindre 8 nœuds. On distingue juste ici la tête de quelques hippopotames.


Encore heureux qu'il ait fait beau... (air connu), que le Flottbek soit un beau bateau et que M. Marchand, 65 ans mais l'œil vif et le pied léger, soit un pilote très aguerri.


08Le capitaine, M. Marchand et, à droite, le second, Orlando (chemise blanche).



A l'évidence j'ai visé juste quand, au début de mes échanges avec M. Marchand, j'ai relevé qu'il fallait sans doute avoir une grande expérience et beaucoup de flair pour diriger des navires de taille, de tonnage, de conception très différents. “ Oui, m'a-t-il répondu, c'est avant tout une question de feeling. ” Et j'ai bien vu dans son regard et son sourire qu'il se sentait compris par le Béotien que j'étais. Je suis sûr que cet échange presque initial a influé sur la teneur des suivants et n'a pas été sans incidence sur l'événement marquant de cette partie du trajet (traité dans un chapitre ultérieur).

Feeling, mais aussi technique et connaissances éprouvées. Le pilote doit donc se garder sur les côtés (j'ai d'ailleurs oublié, à ce propos, de parler de trois autres influences possibles : celle du vent, sur ces navires au fardage important, celle des courants latéraux des affluents du Saint-Laurent, et celle de la vague d'étrave des bâtiments croisés, qui peut faire varier le cap). Mais il doit également bien “ regarder ” ce qui se passe en dessous et parfois au-dessus du bateau.

Plus ou moins chargé, un navire a un tirant d'eau facile à connaître à l'arrêt, à peu près constant en pleine mer. En revanche, dans un chenal étroit de profondeur réduite, l'enfoncement du bateau a tendance à augmenter en fonction de plusieurs paramètres en interaction : la largeur, le tonnage et la vitesse du navire en même temps que la largeur et la profondeur du chenal. Moins il y a d'eau à courir sous la coque et plus le bateau va vite, plus il s'enfonce, étant donné que les molécules d'eau, comprimées sous la coque, s'échappent plus vite sur les côtés et l'arrière.

09Pendant que M. Marchand me dispensait ce petit cours de physique, le Flottbek, avec ses 170 m, était enfoncé de 3 m de plus que s'il avait été à l'arrêt. Son tirant d'eau normal, en pleine charge, est de 9 m. Avec le chargement de ce voyage, il était d'environ 8 m à l'arrêt. Les 11 m réels de tirant d'eau laissaient à ce moment-là environ 1,50 m sous la quille. Le Falcon, un vraquier croisé plus tôt, chargé de ferraille pour l'Asie, n'évoluait, lui, qu'à 80 cm au-dessus du fond !

Il faut également parfois regarder au-dessus de sa tête. Avant Montréal, trois ponts seulement franchissent le Saint-Laurent : deux à Québec et un à Trois-Rivières (celui de l'île d'Orléans, sur le bras nord, ne compte pas car la navigation des gros bateaux s'effectue sur le bras sud du fleuve : il n'y a guère que 2 m d'eau par endroits dans le bras nord). Mais ces ponts ne présentent pas de véritables obstacles, sauf pour les grands paquebots évoqués plus haut : leur tablier est situé à une hauteur suffisante pour permettre la passage des cargos au tirant d'air le plus important.

10Il peut être plus délicat, en revanche, de passer sous la ligne électrique à très haute tension (730 000 volts) qui franchit le fleuve en aval de Québec (elle transporte aux Etats-Unis le courant produit par les grands barrages de la baie James et de la rivière Sainte-Marguerite). Quand le Queen Mary vient à Québec, il doit serrer le bord du chenal pour éviter le point le plus bas de la ligne. Celui-ci est pourtant situé à 54 m au-dessus de l'eau mais, en cas de verglas important sur les câbles, cette hauteur peut varier beaucoup. M. Roux m'a dit qu'elle pouvait être réduite à 29 m, soit une amplitude de 15 m. Quand je lui ai fait remarquer que cela représentait plutôt 25 m il a reconnu l'erreur mais, au bout du compte, je ne sais pas s'il faut comprendre 15 ou 25 m et 39 ou 29 m. Quoi qu'il en soit, même si la variation n'est “ que ” de 15 m, elle est considérable. Même sans verglas (il ne vient pas à Québec en hiver), le Queen Mary ne dispose que d'un chenal utile de 150 m pour passer sous la ligne.

Tout en parlant d'abondance avec moi, M. Roux et M. Marchand donnaient sans arrêt leurs indications à l'homme de barre (moins M. Roux, qui intervenait lui-même de temps à autre sur une sorte de boule de souris d'ordinateur, orientable dans toutes les directions). Ces interventions se limitent à égrener les trois chiffres du cap à suivre : “ Two, three, eight... Two, four, two... ”, soit 238°, 242°, etc. Pour montrer qu'il a bien compris et exécuté, le barreur répète les mêmes chiffres, et chacun des deux hommes s'exprime toujours sur le même ton. La nuit, dans l'obscurité de la passerelle, ces incantations au ton pourtant très neutre ont quelque chose d'assez fascinant. Dans les passages dégagés les variations peuvent n'être qu'assez espacées, de l'ordre de cinq ou dix degrés, mais dans les passages plus sinueux, matérialisés par les bouées lumineuses clignotantes vertes (à bâbord) et rouges (à tribord) et les feux verts fixes d'alignement, il peut arriver que le pilote intervienne deux ou trois fois par minute, en faisant varier le cap d'un ou deux degrés seulement.

La technologie actuelle apporte bien entendu une aide considérable à la navigation, mais j'ai pu constater qu'il est certainement beaucoup plus difficile de piloter un cargo dans le Saint-Laurent que de diriger un avion : celui-ci peut décoller et se poser en pilotage automatique mais rien ne peut remplacer l'œil et le feeling d'un M. Roux ou d'un M. Marchand. Je ne sais plus lequel des deux m'a confié qu'en certains points les alignements ou les repères naturels n'étaient connus que des seuls pilotes et j'ai cru comprendre qu'ils étaient transmis sous le sceau du secret. J'ai été également très intéressé d'apprendre que les passages naturels (certains autres ont été surcreusés ou sont régulièrement dragués mais ils ne font qu'améliorer les endroits les moins praticables pour les grands navires actuels) ont tous été clairement identifiés du temps de Champlain avec les techniques du XVIIème siècle : boule de plomb enduite de suif pour sonder et analyser les fonds, etc.

23 mai 2007

11- 1er et 2 mai

Mardi 1er mai 2007

Mise en train, mise en bouche...

5 h 20. Le jour est maintenant pratiquement levé, uniformément gris, comme hier. A 4 h le Flottbek a ralenti : les vibrations ont à peu près disparu et le bruit a beaucoup diminué. C'est sans doute ce qui m'a réveillé. Il glisse à présent sur un Saint-Laurent aux eaux de (grand) lac (maj... non, je ne vais quand même pas la refaire, celle-là !). Dans l'obscurité encore presque complète, j'ai aperçu des lumières sur les deux rives (Matane sur la rive sud ? en tout cas une agglomération d'une certaine importance). En ce moment je devine vaguement la terre à bâbord, mais à tribord je suis incapable de dire s'il s'agit de la côte ou de nuages. Il serait très surprenant que l'embarquement du pilote survînt dès 6 h (ah ! un petit imparfait du subjonctif le matin de bonne heure, ça vous met en bouche ! C'est sans doute l'influence de la Belle Province qui réveille les saveurs immarcescibles de notre bonne vieille langue française ! [private joke à l'intention des Carré et de la bande du 1er juillet...])

02Au mât avant, à bâbord le pavillon de la compagnie, à tribord le drapeau canadien. Pas de place pour le drapeau québécois mais j’ai des fleurs de lys dans les yeux... La température aurait-elle remonté ? Il n'y a pas de buée sur les hublots, ce matin. A moins que ce ne soit dû à la réduction de la vitesse et à l'absence de vent. Je vais bientôt le savoir en gagnant mon poste d'observation favori. Les piles de l'appareil de photo sont en charge, la douche est prise, le lit fait... La journée va être longue mais je suis prêt.

01

... Après avoir écrit ce qui précède, j'ai refermé mon journal. En me relevant, je viens de découvrir la rive nord beaucoup plus proche que je ne me l'imaginais, bien plus visible maintenant que la rive sud. J'y vais...











Mercredi 2 mai 2007

Rideaux

032 h 15. Plus aucune vibration, plus aucun mouvement. Le Flottbek a touché le quai à 1 h 56 exactement. La pleine lune ajoute sa lumière tendre (pas vraiment visible ici) aux éclats violents des projecteurs.

Je raconterai plus tard cette journée merveilleuse, sûr d'avance de ne pouvoir retranscrire les émotions éprouvées. Pour l'heure, je vais m'étendre (dormisr ?) jusqu'à 7 h. Après le petit-déjeuner, police et douane. Jean, mon fils, doit m'attendre à la sortie du port vers 8 h 30 ou 9 h.

Pour la première fois depuis Liverpool, je vais isoler la cabine. Rideaux.




(Ici se terminent les notes prises à bord du Flottbek. Le long récit de la journée du 1er mai a été rédigé les jours suivants à Montréal. Il tient dans mon journal de bord autant de place que tout ce qui précède. Il fera l'objet des chapitres suivants mais je ne sais pas à quel rythme je pourrai les mettre en ligne car la gestion de ce blogue s’avère extrêmement chaotique pour tout ce qui touche à la mise en page. Les jurons du capitaine Haddock ne sont rien, mais alors vraiment rien à côté de ceux que je suis amené à proférer chaque fois qu’une police de caractère change inopinément de taille ou de couleur, ou qu’une photo insérée dans les règles disparaît, ou que le début d’un texte se retrouve à la fin, etc., etc.)

23 mai 2007

10- 30 avril

Lundi 30 avril 2007

De Terre-Neuve à la nouvelle terre

TERRE !

9 h 45. Début de journée bien occupé... Réveillé très tôt j'ai commencé à lire vers 4 h (fin de Du côté de chez Swann et début d'Un Amour de Swann). Comme, avec le plafond bas, il n'y avait aucune espoir de voir le soleil se lever, je ne l'ai pas fait non plus (me lever). A 6 h 15, j'ai regardé une nouvelle fois par le hublot avant et j'ai eu la surprise de découvrir, à tribord, la terre toute proche. Nous arrivions à la pointe sud-ouest de Terre-Neuve. Je me suis habillé en vitesse et suis resté tout un moment sur le pont arrière, à observer la côte qui défilait.

01__Terre_NeuvePaysage de bout du monde, avec la neige encore bien présente au sommet des falaises.

La Patagonie et Terre-Neuve doivent avoir bien des points communs.

02__Terre_NeuveQuelques antennes et un amer (peut-être le clocher d'un minuscule village tapi au pied de la falaise) sont les seuls témoins visibles d'une présence humaine.

Après quoi, je suis monté une première fois à la passerelle jusqu'au petit-déjeuner. Pendant que je m'y trouvais, signe que nous avions vraiment passé la pointe, nous avons changé de cap pour remonter davantage vers le nord-ouest et la Gaspésie. Déjà à ce moment-là, deux autres bateaux étaient visibles : l'un, venu du nord, paraissait faire le tour de Terre-Neuve dans  le sens anti-horaire, l'autre semblait venir à notre rencontre sur la même route que nous. Depuis, j'ai encore vu de très loin deux ou trois autres navires dont un, apparemment, prenait la direction du sud-est, vers le centre de l'Atlantique, comme le fera le Canada Senator dans un peu plus de trois semaines.

Après le petit-déjeuner, nouvelle escalade de l'escalier intérieur pour aller recueillir mes renseignements habituels. Là, l'officier m'a dit que nous embarquerons le premier pilote demain matin de bonne heure aux environs de Rimouski, mais sur la rive nord. Ce pilote nous conduira jusqu'à Québec, où il sera relayé par un autre jusqu'à Trois-Rivières, avant qu'un troisième nous amène à Montréal. A raison de six heures par tronçon, si nous embarquons le premier pilote vers 6 h du matin, nous devrions être à Montréal aux environs de minuit dans la nuit de mardi à mercredi. Les choses se précisent.

L'UNIVERS DES CONTENEURS

Je suis redescendu donner ces informations à Lucy et Stefan, au salon. Nous sommes remontés ensemble au bridge pour demander l'autorisation de faire le tour du bateau par l'avant. Petite exploration de l'univers des conteneurs.

(Photo de Stefan)

04__Conteneurs03__MG_avantBien entendu on se sent tout petit au milieu ou à côté de ces grosses boîtes empilées, solidement attachées au bateau et arrimées entre elles par des tiges métalliques tendues avec des ridoirs.

05__Conteneurs09__R_frig_r_sAu niveau du pont et en dessous sont regroupés les conteneurs réfrigérés, reliés au navire par leurs câbles électriques.

08__CabestansTout à l'avant, une batterie de cabestans, comme neufs, pour les manœuvres des amarres. Pas un pouce de graisse nulle part.

(Photo de Rona ci-dessous à gauche) 

07__Peinture06__PeintreEn plusieurs endroits des hommes d'équipage s'activaient à traquer les points de rouille et à repeindre. L'état impeccable du Flottbek s'explique par ce travail incessant, souvent effectué dans des conditions beaucoup plus difficiles que ce matin (Céline Aucher le montre très bien dans son blogue ; petit rappel : http://celineauchercargo.blogspot.com). Aujourd'hui en effet la mer est plate et le vent faible, ce qui explique aussi la vitesse soutenue du Flottbek : 20 nœuds, sans secousses ni balancements, avec tout juste les vibrations, du moins dans le château car, sur l'avant, on ne les perçoit pas et, sauf à se pencher au-dessus du bastingage, on n'a aucune conscience du mouvement.

Je serais bien resté plus longtemps mais mes compagnons, moins chaudement vêtus que moi, ne souhaitaient pas s'attarder. En tout cas, s'il fait beau demain, je reviendrai certainement à  l'avant pour la remontée du fleuve. (En quoi je me trompais : cette visite en avant du château a été la seule du voyage.)

LES PETITS RIENS D'UNE JOURNEE (PRESQUE) ORDINAIRE


Très heureuse surprise pendant le petit-déjeuner : le chef-mécanicien m'a apporté la réponse à mon courriel de samedi. Bonnes nouvelles de tous. Excellent premier contact que je regrette d'avoir manqué, mais on ne peut pas tout avoir...

Une visite de Rona est venue interrompre un moment ma rédaction. J'avais laissé ouverte la porte de ma cabine pour indiquer que toute visite sertait la bienvenue, selon le code en usage parmi les passagers. Rona est montée ce matin à la passerelle vers 5 h, espérant en vain assister au lever du soleil. Elle s'y trouvait en même temps que Laurence, auteur du dessin de baleine qui m'avait intrigué, sur une vitre embuée de l'aile tribord. Ils avaient alors aperçu Terre-Neuve mais de très loin.

J'ai accompagné Rona sur le pont arrière et regardé avec elle, sur le petit écran de mon appareil, les photos prises ce matin. Un peu au hasard, engoncé que j'étais dans toutes mes pelures et les doigts pris dans mes gants de moto. Finalement, le résultat n'est pas si mauvais... La température semble remonter un peu : nous devons être aux alentours de 5°.

14 h. Après le déjeuner j'ai envoyé un courriel à Jean et Béatrice à Montréal pour les prévenir de notre arrivée au port dans la nuit de mardi à mercredi mais pour leur dire aussi qu'il est impossible de savoir quand je pourrai quitter le port puisque nuos devrons attendre à bord police et douane, qui n'officient qu'aux heures de bureau. (Ce second courriel expédié du bateau n'est jamais arrivé à destination.)

Je viens de passer un nouveau moment à l'air frais, à l'arrière. La mer a tout d'un lac (majeur, évidemment !...) : seules de petites ondulations marquent la surface, malheureusement grise en raison du temps, qui a tendance en ce moment à redevenir de plus en plus brumeux. Seul le sillage est lumineux, mélange de blanc et d'éclats très vifs d'émeraude, en tourbillons serrés.

Entre passagers, nous en sommes aux échanges d'adresses. Stefan et Laurence vont loger au même endroit, dans une sorte d'auberge de jeunesse du Vieux Montréal. Lucy et Rona ne seront pas très loin d'eux.

J'allais me tromper d'heure : c'est maintenant le moment de monter faire le point...

14 h 40. En redescendant, je me suis trompé d'étage et j'ai essayé d'entrer dans la cabine située juste au-dessus de la mienne, heureusement fermée à clé. Cette erreur m'a permis de connaître l'identité de l'officier électricien que j'avais repéré comme n'étant probablement ni allemand ni philippin. Il est peut-être russe si j'en juge d'après son nom et son prénom affichés sur sa porte. (Ukrainien, en réalité.)

Nous avons commencé à longer les côtes de l'île d'Anticosti, à une vingtaine de milles. Le relief doit y être assez prononcé car j'ai réussi à les deviner aux jumelles (la brume est moins épaisse à tribord). Le capitaine est venu rejoindre le troisième officier (toujours très accueillant : c'est lui qui – hier ? avant-hier ? Je ne me souviens déjà plus) – m'a fait asseoir dans l'un des deux fauteuils pour me prendre en photo. A un moment donné j'ai aperçu quelque chose qui fendait la surface à bâbord. Je me suis déplacé rapidement pour mieux voir – en vain – ce qui devait être un gros poisson. Le capitaine m'a demandé si j'avais vu une baleine, avant de me préciser que, par ici, on peut voir des bélougas toute l'année mais que les baleines ne viennent qu'en été. Il me faut donc reporter mes espoirs sur le Canada Senator, en Atlantique ou en Méditerranée. Mais il ne me déplairait pas de voir des bélougas d'ici demain soir.

Autre animal observé : un oiseau blanc et noir au corps massif et court, volant juste à la surface de l'eau, qu'il touchait presque en permanence, comme s'il n'arrivait pas vraiment à décoller.

En ce moment la brume est un peu moins épaisse, le regard porte à nouveau loin devant. Peut-être, de ma cabine même, aurai-je la chance avant ce soir d'apercevoir la côte de Gaspésie, près de laquelle nous allons passer avant de nous rapprocher de la côte nord du Saint-Laurent du côté de Sept-Iles, je crois.

A la passerelle je n'avais plus du tout envie de dormir mais voilà que ça me reprend. Sieste, maintenant. “ Faire la sieste ”. En anglais : “ To have a snooze ”. Il ne faut pas croire : sur les notions essentielles, je progresse, je progresse !

LA RENCONTRE INESPEREE

11__Canada_Senator16 h 10. Le coup de chance auquel je ne croyais pas ! Nous venons de croiser, à 8,6 milles, le Canada Senator en route pour Gioia Tauro ! Lors de son prochain voyage je serai à son bord. Ce qui serait extraordinaire, alors, ce serait de croiser le Flottbek. Même de loin on se rend compte que le Canada Senator est de taille plus imposante que le Flottbek. Je l'ai longuement observé aux jumelles. Mes photos, prises au maximum du zoom, ne donneront certainement rien mais tant pis.

Voici comment je suis passé de mon lit à l'observation du Canada Senator... Je somnolais quand, vers 15 h 40, le téléphone a sonné. Le troisième officier, de service jusqu'à 16 h, m'a annoncé la nouvelle de cette rencontre improbable. Lors de notre premier entretien, au début de la traversée, je lui avais dit que je rêvais de voir “ mes ” deux bateaux se croiser dans le Saint-Laurent, en m'appuyant sur la dernière position du Canada Senator que je connaissais. Il avait alors estimé qu'un éventuel croisement ne pourrait avoir lieu que dans l'Atlantique et m'avait promis que, si c'était le cas et s'il en avait la possibilité, il ne manquerait pas de me prévenir. Dont acte... Maintenant que le Canada Senator a disparu à l'horizon, j'en frémis encore de plaisir. J'ai chaudement remercié l'officier et je crois qu'il a lui-même pris plaisir à ma joie enfantine.

12__MG_hilare(Photo de Rona)

Les autres passagers aussi l'ont partagée. Je suis redescendu au pont n° 7 pour observer le bateau avec mes jumelles et tenter des photos. J'en ai profité pour informer Stefan et Lucy, présents au salon. Stefan est sorti avec moi. Puis je suis une fois de plus remonté à la passerelle où Rona et Laurence m'ont bientôt rejoint.

Pour ajouter au plaisir, le ciel semble beaucoup plus clair sur l'avant. Peut-être en prévision d'un coucher de soleil sur la Gaspésie ? Continuons de rêver...

Je viens de visionner les photos prises tout à l'heure. Elles sont meilleures que je ne croyais et on voit nettement le Canada Senator, de même que l'écran d'identification au tableau de bord de la passerelle. What a piece of chance ! (anglais astérixien, non ?)

TERRE ! (BIS)

20 h 40. Cette fois l'Atlantique est bel et bien franchi. Après le dîner, vers 19 h, alors que j'avais commencé ma première valise, je me suis aperçu que la côte était proche à bâbord. Je suis descendu prévenir les autres, qui n'avaient encore rien vu. Nous sommes tous aussitôt sortis regarder ce premier bout de terre non insulaire du continent américain. Dans le jour finissant la vue n'était pas très nette.

13__Lucy_Gasp_sieIl était quand même possible de distinguer les hautes falaises sans végétation visible, avec de larges bandes neigeuses, comme ce matin à Terre-Neuve. Les autres sont rentrés assez vite. Quant à moi, je suis resté un long moment dehors dans le froid. Comment ne pas évoquer les sentiments de tous ces émigrants qui, à partir du XVIème siècle, ont découvert cette terre plutôt hostile après une traversée beaucoup plus longue et pénible que la nôtre ?

Après cette méditation-contemplation prolongée, j'ai repris une fois de plus la direction du bridge (l'usage répété des escaliers aura constitué mon seul exercice physique de la semaine). Conversation très amicale avec Nico, le quatrième officier, de quart à ce moment-là. Sur la côte, quelques phares à proximité du cap de la Madeleine, et les pâtés lumineux de quelques villages. A six milles devant nous, un autre bateau, que nous rattrapons petit à petit. Un autre un peu plus proche, à notre rencontre. Sommes-nous sur la bretelle d'accès à l'autoroute ?

Au salon, Stefan, Lucy et Laurence regardaient Cinema Paradiso... Avant de commencer à écrire, j'ai rempli ma déclaration pour la douane. Ma grosse valise est prête. Je voudrais profiter à plein de la journée de demain sur le Saint-Laurent. Cette remontée du fleuve tient dans mon rêve au moins autant de place que la traversée elle-même. J'espère que le temps sera assez clément pour me permettre de passer dehors la plus grande partie de la marche vers Montréal.

L'embarquement du premier pilote est toujours prévu pour 6 h ou 7 h demain matin. Je pense que je serai déjà debout. Commence maintenant la dernière nuit complète avant l'arrivée. Quand je me coucherai demain, nous serons à Montréal...

22 mai 2007

09- 29 avril

Dimanche 29 avril 2007

Déjà projetés vers l'arrivée

TERRE-NEUVE FIDELE A SON IMAGE

6 h 45. Pas de saut du lit très matinal aujourd'hui. J'aurais pu aller à la passerelle à 3 h (6 h UTC) pour le relevé de position, car j'étais réveillé, mais je suis resté au chaud jusqu'à 6 h 15, entrecoupant des plages de lecture de Proust par de longues somnolences aux rêveries et impressions mêlées. L'approche de Terre-Neuve correspond bien à l'image que je m'en faisais : nous avançons dans le brouillard et la pluie (j'ai peine à distinguer le mât de proue, à 150 m), sur une mer toujours, heureusement, assez tranquille. Je monterai voir à 9 h où nous sommes.

LA VEILLE AUX ICEBERGS

01__Brouillard10 h. J'ai passé 45 minutes à la passerelle entre 8 h 45 et 9 h 30. Le capitaine était présent en même temps que le second et deux hommes d'équipage. L'horizon était encore très bouché, la visibilité réduite. A plusieurs reprises la corne de brume a fonctionné. Y avait-il d'autres navires à proximité ? Je n'en sais rien, et le radar ne semblait rien indiquer. D'après ce que j'ai vu sur la carte, nous approchons de la pointe sud-est de Terre-Neuve, que nous devrions apercevoir dans la journée si le temps se dégage complètement. En ce moment c'est déjà beaucoup mieux qu'à 7 h mais je dois régulièrement essuyer la buée sur la vitre. La situation change même très vite, encore une fois : le soleil est près de percer à bâbord. Le froid est toujours mordillant (3°). Ce matin à 4 h, Rona, à la passerelle, a vu quelques flocons et les conteneurs avaient légèrement blanchi dans la nuit.

Sur la carte, j'ai constaté que nous entrons dans les Grands Bancs de Terre-Neuve. J'ai évidemment à l'esprit toutes les images liées à la pêche à la morue... Nous allons raser Saint-Pierre et Miquelon mais je n'ai pas bien vu si nous devons passer entre les îles et Terre-Neuve ou au large. La carte dont je dispose sur l'ordinateur n'est pas assez précise. Verrons-nous d'autres bateaux, de pêche ou de commerce ?

Je viens de mieux voir la situation sur la photo satellite de Google enregistrée avant le départ. Je crois que nous allons laisser Saint-Pierre et Miquelon sur tribord.

LE DRILL : TOUT LE MONDE SUR LE PONT

11 h. Déclenché à 10 h 30, l'exercice de sécurité vient de se terminer. Intéressant à observer. Tout l'équipage, à l'exception des hommes de quart à la passerelle et aux machines, s'est retrouvé comme prévu par les consignes au pont n° 6. Visiblement des équipes étaient constituées à l'avance et chargées de responsabilités distinctes et des équipements correspondants (pour la lutte contre des incendies d'origines diverses...), mais j'ignore si ces équipes sont permanentes ou s'il existe des permutations.

02__Drill_103__Drill_2Spectateurs et acteurs (Photos de Rona)

L'exercice s'est déroulé rapidement, avec décontraction mais aussi beaucoup de sérieux. Le capitaine, radio portable à la main, dirigeait et contrôlait la manœuvre. Sur une de ses indications, nous avons vu une équipe lourdement harnachée disparaître au pas de course pour aller combattre un foyer supposé dans je ne sais quelle partie du navire. Rona a joué les reporters-photographes.

UN GOELAND ET DEUX FLOTTEURS

16 h 05. Je viens de passer là-haut plus d'une heure. Visibilité réduite à deux milles. Température extérieure : 2°. L'assistant du troisième officier m'a confirmé ce que je supposais ce matin : dans ces parages la surveillance est renforcée car la rencontre d'icebergs n'est pas impossible. Mais je n'en ai pas vu, pas plus que de baleines. En revanche, pendant tout ce temps, un goéland n'a pas cessé de planer à tribord. Il était déjà là ce matin très tôt, m'a dit Rona (si ce n'est lui c'est donc son frère...).

04__MG_barreurJuste avant de redescendre, j'ai aperçu deux flotteurs signalant des engins de pêche. Il n'y a pas de doute : nous avons quitté le grand large. Nous devons être maintenant à moins de 20 milles de la pointe sud-est de Terre-Neuve, où nous allons changer légèrement de cap pour remonter un peu dans l'ouest avant de longer Saint-Pierre et Miquelon.

Après le déjeuner, le capitaine nous a informés que nous pourrions arriver dès mardi matin vers 4h. Si cela se vérifie nous allons effectuer de nuit la dernière partie du voyage mais nous devrions passer de jour à Québec. J'espère que nous y bénéficierons d'une meilleure visibilité qu'actuellement : ce serait trop dommage de ne pas bénéficier à plein du Cap Diamant et du Château Frontenac !

Le capitaine nous a donné cette information alors que nous étions tous les cinq regroupés autour de mon ordinateur pour commencer à prendre connaissance de nos photos respectives, en vue de constituer une compilation commune. Il est très curieux de constater comment, depuis ce matin, nous nous projetons déjà dans une logique d'arrivée et plus de traversée. Commence à prendre forme le projet d'une rencontre à Montréal dans les tout prochains jours pour gravage de CD. J'espère qu'elle pourra se faire chez Jean et Béatrice.

LUMIERES A TRIBORD

21 h 30. Monté faire le point à 21 h (minuit UTC), j'ai aperçu des lumières sur Terre-Neuve. Nous allons longer Saint-Pierre et Miquelon pendant la nuit et toucher la pointe sud-ouest de la grande île demain matin. Il est probable que nous ne verrons guère la terre demain, à moins que la Gaspésie, demain soir... En tout cas, nous avons mal dû comprendre les prévisions du capitaine : il semble vraisemblable que nous arriverons à Montréal dans la nuit de mercredi. (Après coup, je pense que le quiproquo était le suivant : nous pensions Montréal et le capitaine parlait des Escoumins, fin de la traversée en autonomie, avec l'embarquement du premier pilote du Saint-Laurent.)

HEAVY FUEL OIL A LA SANTE DE TILO SCHMITT

Ce soir, après le dîner, nous avons procédé au calcul des sommes que nous allons laisser au steward, au cuisinier et à l'équipage (il est d'usage pour les passagers de montrer leur satisfaction en laissant des pourboires). Nous avons fait la répartition en euros et en dollars US, les uns se référant aux livres britanniques, les autres aux francs suisses ou aux dollars canadiens... C'était assez drôle. Malgré son aversion pour la banque, Rona tenait la caisse.


05__ComptesNous avons également offert deux packs de bière à l'équipage, ainsi qu'une bouteille de vin au capitaine et au chef-mécanicien. Pour ce dernier, nous avons assorti notre cadeau d'une étiquette : Heavy fuel oil, en souvenir du flacon de fuel lourd qu'il avait débouché pour nous et porté à nos narines lors de la visite des machines.

Rona et Laurence ont repris leurs instruments. Ils nous ont dit s'entraîner pour faire la manche cet été à Montréal. Nous avons même trouvé ensemble le nom du groupe, surprenant à souhait pour les non initiés : Les Flotte-Bec. Heureusement qu'il s'agit d'une plaisanterie car je ne suis pas sûr que nos deux artistes feraient fortune malgré leurs talents... Stefan est sorti aujourd'hui de l'état quelque peu léthargique dans lequel il était plongé depuis mercredi soir. Tout s'arrange.

Après mon départ du salon, les trois jeunes ont rejoint le pont inférieur pour une troisième soirée karaoké, imprévue celle-là. D'après ce qu'ils m'en ont dit l'ambiance était nettement plus débridée que lors des précédentes et, le lendemain matin, un certain nombre d'hommes d'équipage avaient de petits yeux et mal aux cheveux...

22 mai 2007

08- 28 avril

Samedi 28 avril 2007

Seul mais en nombreuse compagnie

UN LEVER DE SOLEIL FLAMBOYANT

5 h 15. En ce moment même (il est 9 h 15 en France), Geneviève doit être sur la route entre Olonne et l'aéroport de Nantes-Atlantique. Emotion réciproque d'une première rencontre à laquelle, bien que très éloigné, je m'associe complètement...

Je viens de passer une heure sur le toit du monde et d'assister, à 5 h 05 précises, au surgissement du soleil. Il a eu la bonne idée d'apparaître juste dans une brèche de la barrière de nuages, pourtant bien dense. Un véritable flamboiement. Le mot semble bien usé mais je n'en vois pas d'autre. Quant aux nuages devant nous, à l'ouest, ils se teintaient de nuances pastel, dans les roses et les mauves. Je n'avais pas mon appareil photo. Dommage.

Encore cette fois, le second était de quart. Depuis qu'il m'a montré les photos de sa femme et de ses enfants, il est redevenu avec moi complètement taciturne. Quand je suis arrivé dans la pénombre du bridge, je ne l'ai pas vu ni entendu répondre à mon salut. En revanche, son assistant, placé près de la porte, m'a immédiatement proposé un café, que j'ai accepté. (Petite précision : la cage d'escalier reste éclairée 24 h sur 24 mais quand on appuie sur la poignée de la porte d'accès à la passerelle, de l'extérieur comme de l'intérieur, le plafonnier du treizième palier s'éteint automatiquement pour ne pas gêner les hommes de quart par une lumière intempestive. Pour l'arrivant, un moment d'accommodation est nécessaire, ce qui explique que je n'aie pas vu l'officier en entrant.)

LE FLOTTBEK D'UN BON PAS

28_04_1Mes appréhensions d'hier soir ne se sont pas vérifiées : la nuit a été très calme, même s'il a plu en soirée. Ce matin encore la mer est plate sous le ciel bleu floconneux, avec seulement une légère houle, sans une crête d'écume. Le Flottbek poursuit sa marche très régulière, à 18 nœuds environ, ce qui, à cette latitude (un peu moins de 55° N) nous fait gagner à peu près 12 degrés dans l'ouest. J'imagine déjà la ligne tracée sur la carte à mon retour.

La température continue à baisser : 3° ce matin. Je n'en ai pas été surpris car mon hublot avant s'est couvert dans la nuit d'une buée épaisse et, même à l'intérieur, il fait plus frais. Je suis curieux de voir ce que ça va donner par la suite et quelles valeurs vont être atteintes à proximité de Terre-Neuve. En tout cas je ne regrette pas d'avoir apporté le bonnet de laine, les vêtements chauds et les gants de moto qui me permettent de rester dehors aussi longtemps que j'en ai envie.

UN BONHEUR SOLITAIRE AUX ASSOCIES NOMBREUX

Dans ma paisible contemplation de la mer, avant le lever du soleil, je repensais à la magnificence de ce cadeau reçu à mon dernier anniversaire. Je savoure pleinement le bonheur d'être ici : il a tout à la fois la légèreté de l'écume et la compacité de la masse liquide juste effleurée – mais en force – par l'étrave. (Légèreté et compacité, effleurement en force : je ne manie pas l'oxymore par simple plaisir de la formule mais je ne vois pas comment faire autrement pour tenter de rendre compte de sensations bigrement complexes.) Bonheur égoïste ? Je ne crois pas.

28_04_2Complètement personnel, sans doute, et impossible à faire partager, mais Geneviève, les enfants et rapportés, toute la famille, tous mes amis sont très présents à bord. Je leur ai écrit avant de partir que je les emmenais avec moi. Je ne croyais pas si bien dire. Ce que je vis depuis trois jours est considérablement enrichi de cette présence. Ce que je ressens grâce à eux tous va bien au-delà de la gratitude pour le cadeau reçu. Comment partager avec eux en retour toutes les saveurs de ce bonheur ?

LE BONHEUR C'EST SIMPLE COMME... UN COURRIEL

13 h 40. Ah ! les nouvelles technologies... J'avais ce matin préparé et placé sur une clé USB un courriel pour Olonne. Je viens de l'envoyer, de la salle de contrôle des machines où se trouve la liaison internet du Flottbek (par satellite), liaison qui permet au chef-mécanicien de mettre à notre disposition, chaque matin, un condensé, en plusieurs feuillets, de nouvelles allemandes et internationales. En moins de deux minutes mon message est parti. Il ne me reste plus qu'à espérer qu'il sera récupéré ce soir à Olonne. (Il n'est arrivé en réalité que 36 h plus tard.) Ce qui ne gâte rien, c'est que Tilo Schmitt ne m'a rien fait payer (le tarif est normalement de 5 € la minute, comme pour le téléphone). Je n'en ai pas été autrement surpris car il avait fait la même chose hier avec Rona.

Une fois encore la journée est très variée sur le plan des conditions atmosphériques. Toute la matinée nous avons eu grand soleil et mer très plate, avec juste un peu de houle. Puis, à la fin du déjeuner, le ciel s'est beaucoup assombri devant nous. Des grains très fournis tombaient à bâbord et nous avons essuyé une averse de grêle. Le vent a forci et maintenant la surface est couverte d'une sorte de clapot croisé aux crêtes blanches dans lequel le Flottbek progresse à coups de boutoir plus ou moins forts, ce qui explique les écarts de mon écriture dans mon journal. La température extérieure est restée bien fraîche.

FAUSSE ALERTE ET POTEE AUVERGNATE

Ce matin, j'ai induit en erreur mes jeunes petits camarades. J'ai vu une affichette sur la porte de la salle à manger de l'équipage annonçant l'exercice de sécurité (le drill) pour 10 h. Laurence, Stefan et moi nous sommes tenus en alerte jusqu'à l'heure du déjeuner, sans que rien ne se produise. A la fin du déjeuner, Reagan a placé une autre feuille sur la porte de notre salle à manger : “ Drill exercises - 16.00 p.m. ”

A propos du déjeuner : je ne crois pas avoir encore mentionné que, chaque jour, le lunch commence par une soupe, toujours très bonne. Celle d'aujourd'hui, très consistante, tenait plutôt de la potée auvergnate avec du saucisson, une sorte de cervelas, du bœuf, des pois, des choux, si bien qu'elle était suivie uniquement d'un dessert. Stefan et moi avons seuls eu droit à la soupe mais nos amis végétariens ne sont pas morts de faim : pour eux comme pour nous les rations sont toujours surabondantes et d'excellente qualité. (Lucy, Rona et Laurence se sont vu proposer chaque jour du poisson mais Stefan et moi avons dû “ nous contenter ” de viande presque à chaque repas pendant tout le voyage. Il est vrai qu'il nous aurait suffi de demander...)

KARAOKE EN L'HONNEUR D'AMADOR

Lucy, Tilo, Jan, Stefan M., Amador

28_04_420 h 30. Ce soir, Amador, le chef-cuisinier, fête son cinquante et unième anniversaire. Invitation générale pour le karaoké de rigueur. J'ai fait l'effort de m'y rendre, entre 19 h 15 et 20 h 15. Je ne le regrette pas, même si je n'ai pu m'associer autrement qu'en spectateur aux chansons en anglais. Tout le monde est venu, y compris le capitaine et le chef-mécanicien. Ambiance bon enfant : vigoureux applaudissements ou sifflets gentiment moqueurs en fonction des scores obtenus par les chanteurs.

Les textes des chansons s'affichaient à l'écran du téléviseur sur un défilement de photos paradisiaques des Philippines. Aucune nostalgie perceptible parmi l'équipage (d'après ce que Laurence et Rona m'en ont dit le lendemain, c'était peut-être différent en fin de soirée, quand ont été chantées des chansons philippines nostalgiques, au tempo très lent). Ce ne serait sans doute pas vivable si ces hommes se laissaient aller, mais ça ne doit pas être drôle tous les jours...

28_04_5Rona et Laurence avaient préparé une chanson en s'accompagnant à l'accordéon pour Rona et à la guitare pour Laurence. De plus, Rona a offert à Amador un petit sachet de friandises suisses. Bien, ces jeunes. Il faudra que je trouve quelque chose à Montréal pour le voyage de retour, en prévision de semblables occasions.

Avant de revenir m'asseoir dans ma cabine, je suis sorti prendre l'air. Surprise : nous venions de croiser, certainement d'assez près, un autre bateau encore bien visible par l'arrière. J'ai attendu pour rentrer que l'horizon l'ait avalé.

Gros nuages. Mer calme. Froid vif. Terre-Neuve est pour demain.

“ A VOS MARQUES !... PRETS ?...
NON, NE PARTEZ PAS ENCORE !... ”

28_04_3L'exercice prévu pour 16 h n'a pas eu lieu. Il est maintenant annoncé pour n'importe quand cette semaine. Je soupçonne le capitaine et l'équipage de jouer un peu avec nous. Il est vrai que le spectacle était assez amusant, de mes quatre compagnons, dès 15 h 45 et jusqu'à l'heure du dîner (17 h 30), équipés de leur gilet de sauvetage et le casque sur la tête... Pour moi tout était prêt (et l'est encore) dans ma cabine mais j'attendais l''alarme. J'ai bien fait. D'ici à ce qu'elle retentisse en pleine nuit... Mais non, je ne crois pas qu'ils nous joueraient ce tour-là, surtout pour la corvée que ça représenterait pour l'équipage. Et puis je ne vois pas le capitaine souhaiter ainsi un bon anniversaire à Amador.

Ça y est : je me suis lancé dans Proust, après la lecture de Freud et d'une traduction par Voltaire de trois évangiles apocryphes (j'ai trouvé par hasard ce petit livre avant mon départ, qui a piqué ma curiosité. Bof...) J'ai attaqué Du côté de chez Swann dans l'après-midi et avalé sans difficulté une centaine de pages. Sans difficulté et même avec un réel plaisir. Je suis sûr que ma lecture préalable de l'adaptation en bande dessinée (remarquable à tous points de vue) m'a beaucoup aidé à lever mes inhibitions par rapport à cette œuvre plusieurs fois abordée et abandonnée. J'attendais d'être prêt à m'y plonger. Je crois l'être et je me régale déjà.

La buée couvre déjà en grande partie le hublot avant. Il va faire bon sous la couette à reprendre le livre...

21 mai 2007

07- 27 avril

Vendredi 27 avril 2007

Dépression et béatitude

Avertissement : changement de technique

Jusqu'à présent, pour le récit des premières journées du voyage, j'ai pris appui sur mon journal de bord manuscrit mais je l'ai retravaillé de façon à restituer autant que possible l'ordre chronologique. Pour gagner un peu de temps, à partir de maintenant, je vais suivre de plus près mon texte initial, ce qui va introduire de multiples retours en arrière et donc modifier la structure du texte. J'espère que la lecture n'en sera pas perturbée.

DEPRESSION ?

01__Matin8 h 30. Ce matin ça remue pas mal. Accroché aux environs de 1010 millibars depuis le départ, avec des variations d'assez faible amplitude, le baromètre est descendu ce matin à 990. Je viens de m'installer à la table, dont le fauteuil est resté attaché au sol car, au bureau, dans l'autre fauteuil, je partais en glissades latérales assez désagréables. Il se confirme que le Flottbek tangue et roule beaucoup plus qu'un ferry pour la Corse, par exemple, seul gros navire dont j'aie l'expérience. J'ai essayé de filmer les grandes gerbes soulevées par la proue, mais en vain.

Pourtant, quand je suis allé à la passerelle à 5 h (nouvelle heure, soit 6 h UTC), il pleuvait mais la mer était assez calme, avec vent nul. Recouché après ma visite au second, encore de quart ce matin, j'ai senti les mouvements du bateau s'accentuer petit à petit. Le vent s'est levé et établi à un niveau assez fort, ce qu'a confirmé le capitaine au petit-déjeuner. Il semblerait qu'il puisse forcir encore. Le ciel reste très chargé et nous aurons sans doute des grains dans la journée mais, en ce moment, le soleil réussit à percer et j'aperçois un peu de bleu au milieu de la ouate.

“ Are you seasick ? ”... J'ai pris le petit-déjeuner en compagnie des trois jeunes, tous les trois assez barbouillés et guère en appétit. Pour l'instant je tiens assez bien le choc mais j'ai quand même encore avalé un comprimé en prévention. Tout est possible.

REGRESSION ?

Contrairement à mes habitudes, jamais depuis le départ je n'ai fermé les rideaux de la cabine. Bien au chaud sous la couette, entre 5 h 30 et 7 h, j'ai observé la lente montée du jour gris, alors que la pluie s'effilochait sur le hublot bâbord. D'où vient ce plaisir si particulier d'être couché et de somnoler dans un environnement mobile et clos, cabine de bateau ou compartiment couchette de train ? Serait-ce lié aux sommeils d'enfance sur la banquette arrière de la voiture parentale ? (Pourquoi ai-je toujours à l'esprit le souvenir si net de la lune filant à toute vitesse entre les nuages et les sommets des arbres, un dimanche soir sans doute, sur la petite route du Boupère à Saint-Paul, à l'arrière de la 202 ? J'avais trois ou quatre ans...)

Un coup de roulis plus fort vient de faire tomber mes deux valises, que je croyais pourtant bien calées. Si mon siège n'avait pas été attaché, j'aurais traversé la cabine et percuté la cloison de la salle de bain.

Je reviens à mon propos... Ce plaisir de somnoler dans un cocon en mouvement aurait-il un rapport plus lointain encore avec le premier landau ou le sein maternel ?... Et alors ?... Qu'est-ce que je suis venu chercher ici à 60 ans passés ?... Sigmund ! Sigmund !...

“ I'VE SEEN A WHALE !... ”

02__Midi12 h 30. Un grand bol d'air bien frais (9°) après le déjeuner et me voilà de retour dans ma cabine. Les conditions sont redevenues meilleures : le vent est tombé, la mer très hachée de ce matin a laissé la place à une grande houle. Le bateau pioche beaucoup moins mais il se déhanche régulièrement, dans des mouvements de grande amplitude. Java lente.

(Photo de Stefan)

La nouvelle du jour, c'est que j'ai vu ma première baleine du voyage. J'étais sur la passerelle à 11 h (12 h UTC) pour un relevé d'informations. Posté par chance du bon côté, j'ai aperçu sur bâbord le jet d'écume, puis l'arrondi du dos, et puis plus rien, malheureusement. “ I've seen a whale ! ” : j'ai fait des envieux au salon des passagers lorsque j'ai annoncé la nouvelle. Nous espérons bien voir d'autres baleines dans les prochains jours, et aussi des dauphins... Quant aux oiseaux, ils étaient plusieurs dizaines dans le sillage ce matin.

J'ai passé une bonne partie de la matinée allongé, somnolent, dans l'état de vague béatitude que j'évoquais plus haut (le comprimé y serait-il aussi pour quelque chose ?...). J'ai lu, aussi. La deuxième et la troisième des Cinq leçons... Je vais d'ailleurs m'y remettre maintenant.

MORT, GEORGES, BOBBY ET LES AUTRES...

19 h 20. Fin d'après-midi superbe : grand soleil, mer belle, pas de vent. Pas de baleines non plus, ni de dauphins, mais toujours les oiseaux qui, paraît-il, accompagnent le Flottbek dans sa traversée et dorment à bord.

Après le dîner, j'ai passé un long moment dehors, dont une partie en compagnie de Rona, heureuse de parler français (et moi, donc !). Elle m'a parlé de son travail à Zürich et de ses projets à Montréal, nous avons bavardé.

C'est fou ce que je suis bien. Outre le refrain de Mort Shuman, j'ai sans arrêt une chanson au bord des lèvres : Brassens, Bobby Lapointe, d'autres encore, comme ça vient. Je passe de très longs moments à regarder la mer, de la cabine, de la passerelle ou du pont extérieur. Quand je pense que certains craignaient pour moi l'ennui !... Quant à moi, dès avant le départ, j'appréhendais plutôt de trouver le temps trop court pour lire et écrire autant que je le souhaitais. Je m'aperçois déjà que cette crainte-là était fondée mais ce n'est pas grave : il me semble beaucoup plus important de baigner dans cette attitude fondamentale de disponibilité à l'instant. J'ai apporté des grilles de mots croisés et de sudoku, au cas où, mais je n'en ai pas commencé une seule. (Et je n'en ai pas non plus commencé par la suite.)


AU MILIEU DE LA MARE

03__SoirCiel bien sombre au-delà des poubelles du Flottbek
(Photo de Laurence)

Je viens de consulter la carte générale sur mon ordinateur pour repérer notre position. Nous sommes à peu près au milieu de l'Atlantique, nous devons avoir juste dépassé la dorsale. J'ai bien peur de ne pas voir le soleil se coucher, comme je l'espérais : nous nous dirigeons tout droit et très vite vers une épaisse masse nuageuse qui pourrait bien correspondre à la zone dépressionnaire annoncée comme possible par le capitaine. La nuit ne va peut-être pas être trop calme. Je me répéte, mais la rapidité des changements est incroyable. Sur une mer encore tranquille, le bateau me donne déjà l'impression de taper davantage. Et droit devant, c'est vraiment bien bouché. Le soleil ne va pas tarder à être absorbé. Et dire que tout à l'heure, avant de rentrer, j'espérais voir cette nuit le clair de lune tant attendu...

Au dîner, le capitaine nous a annoncé pour le week-end l'exercice d'évacuation mensuel obligatoire. Lors de la présentation du matériel et des consignes, mardi dernier, le troisième officier le prévoyait pour demain samedi. On verra bien (air connu)...

20 mai 2007

06- 26 avril

Jeudi 26 avril 2007

Le temps de vivre



NUAGEUX AVEC ECLAIRCIES

8 h 30. En début de nuit, après le double incident de la panne, le bateau m'a paru taper assez durement. Même ce matin, ses mouvements sont très sensibles et, pour se déplacer, il vaut mieux assurer ses prises. Heureusement je dispose pour écrire d'un vrai bureau, mais j'ai un peu de peine à écrire droit. Pourtant la mer est assez calme et beaucoup moins blanche qu'hier après-midi.

Je me suis réveillé à plusieurs reprises pendant la nuit en raison des secousses du bateau et pour me recouvrir (ah ! ces couettes qui ne bordent pas !) mais la nuit a été plutôt bonne. Un comprimé de Mercalme en prévention et, un peu avant 6 h, je suis à la passerelle. Juste dans le sillage, le soleil est en train de se lever dans un ciel nuageux avec de belles trouées de bleu. Il semble que ce doive être le temps d'aujourd'hui, avec moins de nuages sombres qu'hier. Ce matin le baromètre est à la hausse.

LA CORVEE DE NETTOYAGE

Le second, de quart ce matin (il l'était déjà hier à 18 h) n'est pas du genre très souriant, et encore moins causant. Heureusement je sais maintenant où trouver les écrans qui affichent les renseignements que je cherche. Je reste environ une demi-heure à la passerelle – le toit du monde. En contemplation. Trois ou quatre hommes d'équipage, en ciré orange et bottes jaunes, s'activent, avec un seau d'eau et une serpillière, à nettoyer l'étroit passage laissé libre côté mer par les conteneurs empilés. Que nettoient-ils, alors que des nuages d'écume soulevés par l'étrave viennent les asperger régulièrement ?

ARE YOU SEASICK ?

Comme je m'y attendais, Stefan a passé la nuit sur une banquette du salon. Il a un peu retrouvé la forme mais éprouve quand même quelques appréhensions pour la suite. Nous prenons le petit-déjeuner en compagnie de Laurence. Reagan s'inquiète de notre état : “ Are you seasick ? ” Comme hier, il a dressé la table avec quatre couverts seulement. Il semble que Lucy ne déjeune pas le matin. Quant à Rona, nous ne la voyons pas. Si j'ai bien compris Laurence, ils sont tous les deux restés jusqu'à la fin de la soirée-karaoké d'hier, vers 23 h 30 (heure d'hier).

LE DESIR DU MOMENT...

Voilà commencée la première vraie journée de mer. Au programme : les deux repas et la visite de la salle des machines à 15 h 30. En dehors de cela, temps LIBRE. J'ai pris le parti de me laisser complètement porter, sans autre règle que celle du désir du moment. Lire ou non, écrire ou non, sortir ou rester dans la cabine... On verra bien. Quel luxe ! Pour l'heure, je crois que je vais faire ma première sieste de la journée...

...

Après ma (longue) sieste de la matinée, je sors prendre l'air sur le pont 7. Pensant m'être agréable, Reagan vient installer les trois chaises longues mais je préfère rester debout face à la mer, suivant parfois aux jumelles les mouvements des quelques oiseaux calés dans le sillage du Flottbek. Une fois de plus je regrette d'être incapable de dessiner. Je prends de nombreuses photos mais seul le dessin pourrait me permettre de donner une idée de la grâce de ces oiseaux que je ne suis même pas capable de nommer – encore une de mes lacunes ! Enfin, on ne peut pas avoir tous les dons... C'est déjà beau d'avoir celui de la modestie !

01__S_R_salonAvant de regagner ma cabine, je passe saluer mes compagnons de voyage au salon. Rona et Stefan sont étendus. Je ne suis même pas sûr que Stefan s'aperçoive de mon passage. Apparemment Rona est, elle aussi, sensible au mal de mer. Lucy lit. Laurence rêvasse.




PAYSAGES CHANGEANTS

En début d'après-midi, je reviens à nouveau au pont n° 7 pour observer aux jumelles les bateaux de pêche que nous croisons sur bâbord. Stefan et Rona, emmitouflés, sont allongés maintenant sur des chaises longues, plutôt comateux. Seasickness...

La rapidité des changements de temps est incroyable. Je me trompais bien ce matin en pronostiquant un temps plutôt clair pour la journée : nous entrons en ce moment dans la purée de pois. Il pleut. Au cours des dernières heures nous avons eu droit tantôt au grand soleil, tantôt à un mélange de ciel bleu et de nuages très blancs, tantôt à une nappe grise uniforme. A midi la température extérieure était de 13°. La mer reste assez plate mais elle est aussi variable que le ciel, avec des passages plus creux. Je prends conscience que malgré sa relative lenteur le navire se déplace à travers un paysage changeant, comme une voiture au cours d'une longue étape.

Si j'en juge par notre position et par le cap suivi, nous devrions passer au nord de Terre-Neuve et de l'île d'Anticosti avant d'entrer dans le golfe du Saint-Laurent. Si c'est le cas, mes deux itinéraires, l'aller et le retour, seront entièrement différents et cela me plaît bien, mais avec un passage aussi au nord nous risquons peut-être davantage de rencontrer du mauvais temps. On verra bien ! (Tiens, tiens, encore cette formule !...) (En écrivant ces lignes dans mon journal de bord je me trompais du tout au tout puisque nous avons contourné Terre-Neuve par le sud (contrairement à l'Eilbek en juin 2006, ce qui avait permis à Céline Aucher de voir des icebergs. Si ce n'est déjà fait, qu'attendez-vous pour aller lire son récit ?)

AU CŒUR DU NAVIRE

02__Salle_commandeLa visite guidée par l'officier chef-mécanicien répond bien à mes attentes. Bien entendu je ne comprends pas tout et, faute de pouvoir les exprimer clairement, je dois garder pour moi un certain nombre de questions. Malgré tout, je saisis l'essentiel.

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(A droite, photo de Stefan)
Nous sommes tous les cinq très impressionnés par la propreté éclatante de toutes les salles visitées. On se croirait presque dans un hôpital, les risques de maladies nosocomiales en moins !

L'extrémité supérieure des huit cylindres de l'énorme moteur principal (Photo de Stefan)
06__8_cylNous nous extasions devant l'énormité du moteur principal. Tilo Schmitt explique le circuit compliqué du fuel lourd qui l'alimente, donne des précisions sur tous les circuits de réchauffement, de refroidissement, de purification. Visiblement, le maximum a été fait pour que le Flottbek soit un bateau aussi propre que possible, non seulement “propre sur lui”, à l'intérieur et à l'extérieur de la coque, mais également pour l'environnement.

Le moteur de contrôle du gouvernail
10__Moteur_gouvernailAu niveau 1, tout en bas, un petit regard grillagé nous laisse apercevoir l'arbre de transmission, juste sous nos pieds. Nous profitons de la visite pour demander des explications sur  la panne d'hier soir. Un moteur auxiliaire est en cause. Il a été arrêté et un autre a été mis en route (ici comme à la passerelle, tout organe important se trouve en double ou triple exemplaire). Il sera remplacé à Montréal.

Laurence et moi restons un long moment après les autres en compagnie de Tilo Schmitt. Celui-ci, qui s'avère assez pince-sans-rire sous des dehors de nounours bougon, nous montre à l'écran d'un ordinateur toute une série de photos prises à Anvers il y a six semaines. A la suite d'une erreur de ballastage le Flottbek s'est couché et une partie de sa cargaison s'est répandue sur le quai et sur des camionnettes garées là. Nombre de grosses boîtes se sont ouvertes pour laisser apparaître les petites qu'elles contenaient. De gros dégâts matériels mais, par extraordinaire, pas de blessés (l'officier a compris ma question bien que j'aie demandé s'il y avait eu des people blessed (c'est l'un des indices qui me laissent croire à sa compréhension du français. En attendant, God bless the Flottbek !).

PETIT APERÇU SUR LA VIE D'UN OFFICIER PHILIPPIN

Après le dîner, nouvelle visite à la passerelle pour mon relevé de position tri-quotidien. J'y retrouve encore le second. Mais cette fois il engage la conversation en me demandant ce que je note et pourquoi. De fil en aiguille, nous parlons un moment. Il me demande pourquoi j'ai choisi ce type de voyage, combien j'ai payé mon billet, si c'est plus cher que l'avion... Il se déride complètement, me parle de sa famille et me montre sur son téléphone portable des photos de sa fille (8 ans), de son fils (13 ans) et de sa jolie femme de 41 ans, enceinte de leur troisième enfant. Il pourra cette fois abréger son contrat de six mois pour rentrer chez lui à l'occasion de l'accouchement, en août. Un Anglais rirait sans doute (in petto, of course) de ma syntaxe approximative et du choc de nos accents (pour mon interlocuteur, wife se prononce wipe), mais nous parvenons tant bien que mal à nous comprendre.

LE TEMPS DE VIVRE

11__Brume(Photo de Rona)
Ce soir la mer est belle, et le vent nul. Le soleil fait une brève apparition vers 19 h, puis la grisaille et la brume reviennent. Sans doute pas de coucher de soleil ce soir, mais, plus que jamais, il neige sur le Lac Majeur...

J'ai terminé un roman commencé avant le départ et lu aussi un album de BD réalisé par plusieurs dessinateurs pour le vingtième anniversaire de France Info. Est-ce que je me lance dans Proust maintenant ? Après tout voilà déjà plus de trente ans que je diffère ce moment, je peux bien attendre encore un peu pour me lancer A la Recherche... On verra bien ! (Décidément !...) Pour l'heure, dans le tas de livres apportés, je choisis Cinq Leçons sur la psychanalyse, de ce bon vieux Sigmund.

Je change l'heure à ma montre et reviens à 18 h 30. Cinq journées consécutives de 25 h : quel temps pour vivre, seulement VIVRE !...

19 mai 2007

05- Les passagers du Flottbek

Les passagers du Flottbek

01__Les_5
L'option d'un voyage en cargo doit bien révéler des points communs entre ceux qui font ce choix mais je ne me risquerai pas à des conjectures hasardeuses pour l'expliquer (bien que Stefan et moi ayons été les seuls de nous cinq à manger de la viande, faut-il en déduire que les voyageurs en cargo végétariens sont statistiquement majoritaires ?). En revanche, la transplantation dans un univers inconnu et plutôt confiné facilite certainement le rapprochement et l'entrée en sympathie. Si j'en juge par l'expérience de Céline Aucher et la mienne, les différences entre passagers (âge, nationalité, activités...) sont gommées par les jours vécus en commun et les liens créés paraissent pouvoir perdurer. L'avenir le dira. En tout cas je crois que je serai heureux de ne pas perdre complètement de vue mes quatre compagnes et compagnons de voyage.


LUCY

02__Lucy___SEcossaise d'Edimbourg, Lucy vient pour la seconde fois en cargo à Montréal (première traversée l'année dernière à bord du Reinbek, dont elle était la seule passagère). Elle a adopté ce mode de transport par phobie de l'avion et rêve de pousser plus loin encore dans un an ou deux pour aller en Australie rendre visite à de la famille. Célibataire, elle a travaillé dans le social. Elle vient retrouver des amis au Canada et se prépare à effectuer tout un périple en train et bateau : Halifax (Nouvelle-Ecosse) puis Vancouver, pour une traversée complète du continent d'est en ouest, un petit aller-retour en Alaska, la descente sur la Californie, retour en train sur la côte est jusqu'à New-York puis destination l'Europe à bord d'un paquebot de croisière. Lucy a passé beaucoup de temps au salon des passagers à lire et remplir des grilles complexes de sudoku dont elle est passionnée. Elle maîtrise très bien le français, ce qui lui a permis de lire le Guide des voyages en cargo (que j'ai fait connaître à mes nouveaux amis) et de me poser quelques questions de vocabulaire assez pointues. Sourire, finesse, décontraction, gentillesse...

RONA

03__RonaSon dynamisme, son sourire et ses talents d'accordéoniste ont très vite fait la conquête de tous, aussi bien à la salle à manger, où Reagan est prêt à se mettre en quatre pour elle, que de la passerelle au salon de l'équipage pour les soirées-karaoké. Elle a suivi des études en communication et travaillé chez elle, à Zürich, pour un important festival de théâtre. Si elle n'est pas encore tout à fait fixée sur son avenir professionnel, elle sait au moins clairement qu'elle ne veut pas exercer pour les services de relations publiques d'une banque ou d'une grande entreprise. La durée de son séjour au Canada n'est pas encore totalement arrêtée. Elle va être impliquée dans la préparation d'un festival d'été à Montréal. Cela va très certainement lui permettre de perfectionner son français, qu'elle maîtrise moins parfaitement que l'anglais mais suffisamment pour bien se débrouiller.

STEFAN

04__StefanSuisse et germanophone lui aussi, mais de Berne, Stefan a 26 ans, comme Rona. Il est complètement trilingue et m'a plusieurs fois permis de boucher des trous dans ma compréhension des propos tenus par les uns ou les autres. Pour terminer ses études de géographie et aménagement du territoire, il doit commencer en septembre un master en Hollande. Il s'est offert le voyage en travaillant dans une station de téléphérique. Il a déjà sillonné l'Europe à vélo et met à profit quatre mois de liberté pour parcourir Canada et Etats-Unis (jusqu'en Californie). Il était déjà chez des amis en Hollande pour rejoindre Anvers quand l'annonce du changement de port de départ lui est parvenue. Il a rejoint l'est de l'Angleterre par bateau puis Liverpool en deux jours à coups de pédales. Il a planté sa tente en route dans une ferme. La tête du fermier anglais faisant la connaissance de ce Suisse venu de Hollande et parti pour le Canada à vélo !... De nous cinq, Stefan est celui qui a le plus souffert du mal de mer, qu'il a surmonté avec philosophie. Avec sa placidité et son humour, il est prêt à affronter les terribles mouches noires et les ratons-laveurs, qui ne l'empêcheront pas de tracer sa route de globe-biker avant de reprendre l'avion.

LAURENCE

05__LaurenceA 24 ans, domicilié près de Brighton, Laurence a étudié la philosophie et la sociologie, mais juste pour le plaisir (il a consacré une partie de la traversée à la lecture de L'Insoutenable Légèreté de l'être, de Kundera). Il s'accorde une longue coupure avant de décider de ses orientations. Il arrive au Canada avec un visa vacances-travail qui devrait lui permettre de subvenir à ses besoins dans les mois à venir. Aux dernières nouvelles (au moment où j'écris), il cherche un restaurant végétarien où il pourrait se faire embaucher pour apprendre la cuisine.

08__Les_3Il a emporté dans ses bagages une guitare modèle réduit dont il s'accompagne pour chanter, mais je ne sais pas si le projet de constituer un groupe avec Rona pour faire la manche à Montréal se concrétisera (le nom pourtant a déjà été trouvé, énigmatique à souhait pour les non-initiés : Les Flotte-Bec)... En tout cas, des arts martiaux à la musique, une grande complicité joyeuse s'est vite établie entre ces deux-là. Beaucoup d'humour aussi chez Laurence et une application méritoire à parler français chaque fois qu'il me sentait largué. Et un flegme étonnant chez un garçon de son âge, lors des difficultés rencontrées à l'arrivée.

MICHEL

Ceux pour qui j'écris et qui m'ont permis ce voyage (je les appelle mes commanditaires) n'ont pas besoin que je me présente. Quant aux autres, ils ont tout ce blogue pour me connaître. J'y parle assez de moi pour ne pas avoir besoin d'en rajouter.

07__S_M06__S_M(Les repas : quelques moments de franche rigolade)

18 mai 2007

04- Les marins du Flottbek

Les marins du Flottbek

C'est bien connu, le temps n'est plus des équipages homogènes, de la même nationalité que le bateau, l'armateur, l'affréteur... La mondialisation, la recherche du profit maximum ont des incidences directes aussi bien sur les navires que sur la composition des équipages. C'est ainsi que le Flottbek appartient toujours à une compagnie allemande mais, immatriculé à Hambourg lors de sa mise en service en 2005, il est passé sous pavillon britannique dès 2006 pour des raisons fiscales (au moins a-t-il gardé son nom, ce qui n'est pas toujours le cas). En ce qui concerne le personnel de bord, il est évidemment organisé selon des règles hiérarchiques communes à toutes les marines du monde mais il rassemble également plusieurs nationalités, ce qui introduit d'autres clivages.

J'aurais bien aimé creuser cette question et recueillir les témoignages et les points de vue des différents acteurs mais, une fois encore, mon faible niveau d'anglais m'en a empêché. Céline Aucher, journaliste à La Charente libre, qui a effectué la traversée sur l'Eilbek en juin 2006, a poussé beaucoup plus loin que moi ses observations, qu'elle livre dans son excellent blogue, dont je recommande la lecture :

http://celineauchercargo.blogspot.com (je conseille également ses deux autres blogues associés)

Tout ce que j'ai lu et entendu à propos de l'accueil des passagers par les marins s'est trouvé vérifié sur le Flottbek : nous avons été reçus avec la plus grande amabilité, aussi bien par les officiers que par l'équipage. Les règles simples de la vie à bord nous ont été clairement exposées. Seulement dictées par un souci de sécurité, elles n'ont jamais représenté de véritables contraintes. Non seulement nos questions, même naïves, ont toujours trouvé un accueil attentif, mais les officiers (capitaine et chef-mécanicien surtout) sont régulièrement allés au-devant de nos souhaits en proposant eux-mêmes des activités comme l'exercice du canot de sauvetage dans le port de Liverpool ou la visite guidée de la salle des machines. Nous avons toujours été très bien reçus à la passerelle et chaque fois que nous croisions un membre de l'équipage, dans n'importe quelle partie du navire, un grand sourire était de règle.

07__Amador08__Reagan_DrillLe cuisinier Amador et le steward Reagan (ici dans une tenue inhabituelle lors de l'exercice de sécurité) méritent une mention spéciale puisque nous avons eu avec eux des contacts permanents. L'un comme l'autre a tout fait pour nous rendre les repas agréables et même répondre à telle ou telle demande particulière (n'est-ce pas, Rona ?).

Nous avons été spontanément invités aux trois soirées-karaoké de la traversée, au même titre que n'importe quelle autre personne à bord. Rona ayant apporté son accordéon et Laurence sa guitare, le programme s'en est trouvé enrichi.

Je ne suis pas certain d'avoir tout compris de l'organigramme qui préside aux relations internes sur le Flottbek mais je crois pouvoir en dire l'essentiel...

UN COMMANDEMENT ALLEMAND...

01__CapLe capitaine Jan BLOCK, le 24 avril, a pris la relève du capitaine SCHNEIDER, plus âgé, arrivé la veille de Montréal (j'ignore à quel rythme se font ces échanges et quelle est la répartition du temps entre la mer et la terre pour les officiers supérieurs). Il m'a semblé avoir l'œil à tout sur le bateau, que je l'ai vu arpenter de l'arrière à l'avant et du haut en bas chaque jour.

Lors de ma rencontre avec lui, à l'entrée du port de Liverpool, je ne l'imaginais pas en uniforme galonné. J'avais tort. Chaque fois qu'il était en service il portait ses quatre galons. Mais il pouvait également opter pour une tenue très décontractée, aussi bien à la salle à manger qu'au salon de l'équipage en soirée-karaoké où il ne rechignait pas à prendre le micro pour une chanson rock en accord avec sa coiffure. Je ne l'ai jamais entendu élever la voix. Il m'a semblé dégager une autorité (naturelle ?) qui l'en dispensait. Enfin, quand je dis qu'il n'a jamais élevé la voix... pour parler, certes, mais pour rire et pour tousser (il a transporté de Liverpool à Montréal une solide bronchite qui le faisait repérer de loin)... Comme il se doit, chacun à bord lui donnait du “ Sir ” dans tous les échanges.



02__Chef_m_caLe chef-mécanicien Thilo SCHMIDT, comme le capitaine BLOCK, porte quatre galons. Comme son grade l'indique, il a la haute main sur le fonctionnement de toutes les machines du bord, de l'énorme moteur principal à tous les moteurs annexes mais essentiels : générateurs électriques, moteur de commande du gouvernail, etc. Dans l'exercice de ses fonctions, il officie dans les entrailles du navire, à partir d'une salle de commande monumentale. Comme pour le capitaine, j'ignore tout de son rythme de travail.

Il m'a semblé se réfugier tout d'abord derrière un visage un peu fermé mais cette apparence m'est vite apparue comme un masque (de protection contre la timidité ?). Du début à la fin du voyage, il s'est montré avec nous d'une gentillesse extrême. La liaison internet du bateau était effectuée à partir d'un ordinateur de sa salle de contrôle. Il nous a informés au départ que toute connection nous coûterait 5 € par minute. En réalité, nous avons pu envoyer et recevoir des courriels (du moins Rona et moi) sans rien débourser (oui, c'est vrai, l'un de mes deux messages n'est pas arrivé, mais il n'y était pour rien). De même, alors que nous passions Trois-Rivières, avec l'accord du capitaine, il m'a permis d'appeler gratuitement Montréal avec le téléphone portable du Flottbek (la communication transitant, je pense, par l'Allemagne !). A certains petits signes je le soupçonne de parler ou au moins de comprendre le français mais je n'ai pas osé m'en assurer en lui posant directement des questions. J'ai peut-être eu tort car, si mon intuition s'était révélée juste, j'aurais pu obtenir des éclaircissements sur mes très nombreuses interrogations au sujet du navire et de sa machinerie.

... DES EXECUTANTS PHILIPPINS...

Les autres officiers du Flottbek chargés de la navigation et des différentes manœuvres au port et en mer sont philippins. Fait significatif : nous n'avons eu connaissance que de leurs prénoms (et encore je n'ai pas retenu celui du 3ème officier, avec qui j'ai pourtant bien sympathisé). Leurs contrats de travail n'ont pas grand-chose à voir avec ceux des deux officiers allemands. Le second, par exemple, reste 6 mois sans revoir sa famille et son salaire, je crois, est de l'ordre de 1500 € mensuels (j'ignore ce qu'il pourrait être pour un officier allemand ou français de même grade).

Nous n'avons jamais vu aucun des trois officiers philippins (peut-être y en avait-il un quatrième, adjoint du chef-mécanicien) dans la salle à manger commune aux officiers et aux passagers. Ils partageaient la table des autres membres de l'équipage philippin.

03__2nd_OrlandoLe premier officier, Orlando (trois galons, qu'il ne porte pas ici où il est assis en polo blanc à côté d'Amador), m'est apparu comme quelqu'un d'assez taciturne. Le hasard a voulu que beaucoup de mes stations à la passerelle se sont situées pendant ses quarts. Nos échanges se sont le plus souvent limités aux salutations d'entrée et de sortie. Sauf deux fois. La première (mais je ne sais pourquoi, ce jour-là, le dialogue s'est vraiment engagé), il m'a parlé de sa famille, de la grossesse de son épouse qui lui permettra en août d'écourter son actuel séjour sur le Flottbek pour être présent à l'accouchement ; sur son téléphone portable il m'a montré les photos de sa femme et de ses deux enfants. La seconde, sur le Saint-Laurent, j'ai entrepris de lui parler de son changement de tenue (il venait d'apparaître en chemisette blanche galonnée), mais notre conversation a vite tourné court, sans doute en raison de ma maladresse : pour lui parler de sa chemise (je voulais employer le mot shirt), j'ai parlé de shit ! J'ai bien vu qu'il me regardait d'un drôle d'air mais ce n'est que plus tard que j'ai compris...

04__3_meLe deuxième officier (deux galons) était plus jovial et disert. C'est grâce à lui que j'ai pu apercevoir le Canada Senator. C'est lui qui m'a montré l'utilisation de divers appareils comme les radars et les écrans d'identification des navires rencontrés.

05__4_me_NikoLe troisième officier, Nico (un galon) avait le contact très facile et chaleureux. Avec son assistant à la passerelle, il m'a plusieurs fois offert une tasse de thé ou de café. Céline Aucher, en 2006, a aussi rencontré un Nico sur l'Eilbek. J'ignore si c'est le même (c'est possible car il y a visiblement des passages d'un navire à l'autre : Amador était aux fourneaux de l'Eilbek il y a un an).

Chacun de ces officiers m'a semblé avoir un assistant attitré pour ses quarts à la passerelle, mais j'ignore si cette fonction correspond à un grade particulier.

09__Karaok_Le reste de l'équipage, (une vingtaine d'hommes à peine) est réparti en équipes aux attributions sans doute bien définies pour la marche et l'entretien des machines, les manœuvres au port, l'entretien du bateau en mer : lutte permanente contre la rouille avec grattage et peinture permanents.


(Quelques membres de l'équipage lors du karaoké en l'honneur de l'anniversaire d'Amador, 51 ans)

Comme dans tout groupe, certaines personnalités m'ont paru plus marquantes mais j'aurais bien aimé en savoir plus sur les incidences d'une vie prolongée entre hommes en cercle restreint, loin du pays et de la famille... (Rien ne dit, d'ailleurs que, même si j'avais été capable de mieux parler et comprendre, j'aurais pu en si peu de temps obtenir des confidences : je n'étais qu'un passager payant – on m'a d'ailleurs demandé deux fois combien j'avais payé – et je ne partageais pas les tâches quotidiennes. Je n'ai pas la naïveté de croire que le sourire vaut sésame.)


... ET DEUX INTERMEDIAIRES

06__ElectricienUn officier électricien, ukrainien, est aussi placé sous les ordres du chef-mécanicien. Il s'appelle (à peu près) Wladislas Kouznetsov : j'ai vu son nom sur la porte de sa cabine, juste au-dessus de la mienne, un jour où je me suis trompé d'étage. Nous l'avons peu vu dans notre salle à manger car il partageait la plupart de ses repas avec les officiers et les membres d'équipage philippins. Européen, oui, mais pas de la même Europe...














10__St_MeinersUn troisième Allemand, Stefan Meiners, effectuait sur le Flottbek sa deuxième traversée. Il s'agit d'un jeune apprenti non encore admis en école de formation des officiers de marine en Allemagne. Il est à bord pour un stage de six mois en attendant d'être intégré. En tant que stagiaire nous l'avons vu à plusieurs postes sur le navire. Chargé de nettoyer le pont n° 6 au jet d'eau et à la brosse mais aussi à la passerelle, à la barre du Flottbek pendant un moment lors de la remontée du Saint-Laurent. Il n'a jamais pris aucun repas avec nous. En revanche, il est venu occuper la cabine libre à notre étage au départ du Hollandais Michael. Nous lui devons une superbe vidéo du plongeon du lifeboat dans le port de Liverpool. Rona, Stefan et Laurence ont pu obtenir grâce à lui quelques renseignements sur les relations entre membres d'équipage.

18 mai 2007

03- 25 avril

Mercredi 25 avril 2007

Cap au nord



ÉCRIRE POUR TROMPER L'ATTENTE

01_DSCF0187Il est 4 h. Réveillé à 1 h du matin, je ne me suis pas rendormi. A plusieurs reprises je me suis relevé pour admirer le manège des trois grandes grues qui, simultanément, chargeaient le Flottbek. Elles ont maintenant redressé leurs longues flèches, ce qui semnle indiquer la fin du chargement. Si c'est vraiment le cas il s'agit d'une excellente nouvelle car cela signifie que les hublots vers l'avant vont rester dégagés, contrairement au pronostic de Reagan hier soir. Assis au bureau, j'aperçois juste quelques “ boîtes ”, tout là-bas à l'avant, au pied du petit mât.

Depuis une dizaine de minutes, tiré et poussé par deux remorqueurs, le MSC Corsica, immatriculé à Majuro – mais où diable peut se trouver ce port ? – a quitté le quai où il était amarré devant le Flottbek. Il s'éloigne tout doucement vers la passe de sortie. (Au moment où j'écrivais ces lignes, le 25 avril, j'ignorais tout des significations du sigle MSC – l'officielle et l'autre – et je ne savais pas que nous aurions l'occasion de rencontrer d'autres navires de la même compagnie.)

Il y a quelques instants, j'ai entendu une porte s'ouvrir dans le couloir et je me suis précipité. Michael quittait sa cabine et s'apprêtait à descendre à terre. Il m'a fait ses adieux. Je lui ai souhaité Good Luck.

Laurence est levé lui aussi. Le capitaine nous a invités, vient-il de me dire, à assister au départ de la passerelle. WAOOOOH !...

VERY EXCITING, ISN'T IT ?

7 h. Nous sommes en route.

Lui aussi aidé de deux remorqueurs, le Flottbek s'est détaché du quai à 4 h 45, a lentement traversé le bassin, a attendu que le MSC Corsica ait quitté l'écluse, s'y est engagé à son tour.

06_100_0365Vraiment, ça passe ?


(Photo de Laurence)

07_DSCF0202Oui, c'est vrai, s'il est entré sans chausse-pied il va bien pouvoir ressortir !

08_DSCF0206Il était 5 h 15 quand le remorqueur Trafalgar (ah ! oui, c'est vrai, nous sommes en Angleterre, à bord d'un bateau arborant l'Union Jack...) a commencé à faire pivoter notre étrave pour la diriger vers le centre de la Mersey, avant de regagner son nid. “ Allô, Geneviève ? Nous quittons Liverpool... ”

02_P1010460Pendant toutes ces manœuvres la passerelle est plongée dans la pénombre, éclairée seulement par la lueur des écrans et l'éclat fugitif d'une lampe électrique, de temps à autre. Aux couleurs anglaises lui aussi, le jour se lève quand nous passons l'écluse. En compagnie du pilote (la cinquantaine joviale et légèrement bedonnante), le capitaine coordonne les opérations. L'ambiance est détendue mais concentrée.


(Photo de Rona)

03_DSCF0191
Avec Rona, Stefan et Laurence, je ne perds pas une miette de tout ce qui se passe (Lucy est restée dans sa cabine pour observer le départ).

04_IMGP0033Nous allons d'une extrémité de la salle à l'autre, en nous efforçant de rester discrets et de ne pas gêner.


(Photo de Stefan)

05_100_0352Nous prenons beaucoup de photos dont la plupart ne seront guère bonnes, mais qu'importe...


(Photo de Laurence)

09_DSCF0208Le large semble à portée d'étrave mais il nous faut 1 h 30 pour remonter le chenal qui mène hors de la Mersey et permet d'entrer vraiment en mer d'Irlande. Le capitaine a fait apporter au pilote, par Reagan, un solide breakfast. Il lui offre en outre, en guise de viatique, une bouteille de gin.

11_IMGP0037A 6 h 45, malgré son embonpoint, Mr Pickwick descend lestement l'échelle de corde déployée pour lui le long de la coque tribord et prend pied sur le canot rapide qui l'emporte aussitôt.


(Photo de Stefan)

12_DSCF0215Posté dans l'aile tribord de la passerelle, le capitaine n'a rien perdu de l'opération.

10_P1010481“ Allô ?... ” Dernier appel. La semaine prochaine à Montréal... Je redescends dans ma cabine.


(Photo de Rona)

13_DSCF0218Le nez collé à la fenêtre, j'essaie d'embrasser l'horizon en avant du mât...

EN ROUTE

Désormais le Flottbek taille sa route sans assistance. Ciel nuageux avec éclaircies. Un rayon de soleil de temps en temps. Mer plate. Pour l'instant je suis assez sensible aux vibrations mais j'imagine qu'assez rapidement je n'y ferai plus attention. Comme toujours à bord d'un bateau ou d'un avion, j'ai l'impression d'avoir tous les sens en éveil. Je me retrouve enfant, complètement...

Le soleil éclaire en ce moment l'avant du Flottbek, ce qui me permet de m'orienter. Je m'attendais à ce que nous prenions le premier virage à gauche pour contourner l'Irlande par le sud mais selon toute apparence nous allons dans la direction inverse et nous allons passer au nord.

Il reste un quart d'heure avant le petit-déjeuner. Je descends prendre l'air et regarder le sillage dans le soleil.

IL NEIGE SUR LE LAC MAJEUR

15_DSCF0223Eblouissant sillage, malgré le ciel nuageux... Je bée... Et soudain, allez savoir pourquoi, me jaillit à l'esprit et aux lèvres le refrain de Mort Shuman : “ Il neige sur le Lac Majeur... ” Je n'en connais que ce vers initial et cet autre : “ J'ai tout oublié du bonheur... ” Un coup d'œil derrière. Personne. Non, je ne peux pas étouffer ça. Il faut que ça sorte. Et ça sort, à pleins poumons, et ça s'en va dans les éclats d'émeraude du sillage, dans le grondement du moteur, rejoindre ces oiseaux qui déjà nous suivent et vont nous accompagner pendant toute la traversée. Ces deux vers ne vont jamais me quitter et ils me mettent encore les larmes aux yeux aujourd'hui 17 mai, au moment où je recopie mon journal de bord.

14_DSCF0222Sur bâbord, dans la brume, une plate-forme pétrolière. Pour mieux voir (mes jumelles ne me quitteront guère à chacune de mes sorties), je m'avance sur l'étroit passage entre le canot de sauvetage et le bord.

18_100_0394C'est un endroit où je reviendrai souvent. J'y passe les dernières minutes avant de gagner la salle à manger. “ Il neige sur... ” Mes variations feraient fuir n'importe quel mélomane. Et alors ?... Bon Dieu, que c'est bon !

(Photo de Laurence)




SALUT L'ECOSSE !

A 13 h, pour la première fois, je monte seul à la passerelle. Le capitaine nous a autorisés l'accès permanent, à la condition implicite, bien entendu, que nous ne causions aucune gêne. (Je passerai tout là-haut de très longues heures, le plus souvent silencieuses. Ce n'était pas vraiment prémédité mais je vais procéder tout au long de la traversée à trois relevés quotidiens de la position du bateau et de divers renseignements comme sa vitesse, la force du vent, le cap suivi. Cela me permettra, j'espère, à la fin de ce récit, de présenter une carte de la route suivie entre Liverpool et Montréal. Je n'ai pas réussi, en raison du décalage horaire, à effectuer mes relevés tous les jours à la même heure, mais je dispose au moins des références quotidiennes à midi en temps universel, U.T.C.)

Le troisième officier assure seul le quart. Il me reçoit très gentiment, me montre les insrtruments de navigation, les cartes, et répond aux quelques questions que je réussis à formuler. Passionnant. Je lui parle même de mon retour, lui demande s'il connaît le Canada Senator, si nous avons des chances de le croiser dans le Saint-Laurent, en fonction de la dernière position que j'en connais. D'après mon interlocuteur, mon prochain bateau devrait avoir quitté le Golfe du Saint-Laurent avant que nous y entrions. Pas de chance...

20_DSCF0230Au pont n° 7, je trouve Rona et les deux garçons en pleine séance d'un art martial dont je ne réussis pas à comprendre le nom.

21_IMGP0041Visiblement experte, Rona dirige les opérations. Ambiance de croisière sous le soleil. Les chaises longues ne sont pas dépliées mais ce serait possible. En m'efforçant de bien me caler, je prends quelques photos des athlètes.

19_DSCF0229Puis je vais prévenir Lucy que nous sommes en vue des côtes écossaises et elle vient nous rejoindre.

16_DSCF0226Nous voyons alors la terre de chaque côté du bateau.

17_100_0393L'entrée dans le Saint-Laurent sera-t-elle plus large encore ?

(Photo de Laurence)

DES RELATIONS SOURIANTES


L'ambiance entre nous cinq est très souriante et agréable. Je pressens déjà la grande liberté qui va prévaloir dans nos échanges : il semble évident que chacun(e) a plaisir à retrouver les autres mais peut à tout moment choisir de s'isoler. Mes quatre compagnons ont vite pris conscience de mes aptitudes très limitées à parler anglais, surtout dans une conversation à plusieurs voix. C'est pourquoi, à certains moments, les échanges se déroulent en français, que chacun(e) parle mieux que moi l'anglais. J'essaie quand même de ne pas trop profiter de la situation en m'efforçant chaque fois que je peux de mettre mon grain de sel dans l'idiome dominant (ach !).

LE VENT RENTRE

A 14 h 15 je rejoins ma cabine (où j'ai passé une bonne partie de la matinée grimpé sur mon bureau à regarder la mer) pour écrire mon journal de bord (le très beau journal offert par Renaud et Fabienne, et dont je noircis les pages avec le stylo offert aussi par eux). A ce moment-là je nous crois au nord de l'Irlande, face à une île écossaise proche à tribord. (En réécrivant ce récit aujourd'hui 17 mai, je crois plutôt que nous nous apprêtions à nous éloigner de l'île de Man, mais je ne suis sûr de rien.) J'ai vu à la passerelle, sur la route tracée à la table à cartes, mais sans faire attention aux noms de lieux, que le Flottbek est sur le point de changer de cap et de prendre la direction du grand large en appuyant vers le nord-ouest.

Nous venons de traverser un grain avec une palette incroyable de gris. Jusqu'à présent le vent semblait nous pousser, ce qui rendait la plage arrière, au pont n° 7, très agréable et pouvait expliquer une vitesse supérieure à 20 nœuds. Maintenant il semble venir de face et la mer s'est couverte de moutons. Le Flottbek tangue un peu, bien que la mer ne soit pas trop formée, mais cela reste supportable. C'est sans doute, comme les vibrations, une conséquence du chargement réduit.

Vers 15 h le vent a encore forci : aux crêtes blanches s'accrochent de longs filaments d'écume qui marbrent la surface de l'eau très verte. Vus de ma cabine, les creux ne semblent pas très prononcés mais, si nous étions à la voile, ça taperait sans doute assez fort. Etant donné l'état de la mer, il doit y avoir en ce moment un bon force 6. Bonne surprise : bien que nous prenions la mer trois-quart avant sur bâbord, le Flottbek pour l'instant ne roule pratiquement pas.

LA CROISIERE S'AMUSE... PLUS OU MOINS

Je passe allongé une partie de l'après-midi, à lire ou somnoler. Je commence à entrer dans le rythme de la vie à bord. J'ai lu qu'on y dort plus longtemps et plus souvent qu'en temps ordinaire. Cela semble se vérifier.

Une fois relevé, je passe un long moment, à l'aide de mon canif et de papier toilette, à enlever le plus possible de la graisse que j'ai copieusement étalée dans le dos de ma veste en polaire en début d'après-midi. Pour mieux photographier Rona, Stefan et Laurence, je me suis consciencieusement appuyé, sans m'en apercevoir, contre les gonds d'une grosses portes métalliques, bien enduits de graisse épaisse. Essuyer, racler, penché sur ma veste étalée, ce n'est pas vraiment l'activité la plus recommandée pour éloigner le vague malaise qui commence à me gagner. Par précaution, j'avale deux comprimés de Mercalme (la boîte m'a été offerte par des collègues de Saint-Gilles à mon départ, en juin dernier – merci, Hélène et Isabelle) et je me prépare à sortir prendre l'air quand se présente un homme d'équipage venu réparer ma chasse d'eau toujours défaillante.

25_DSCF0247Pendant un long moment il procède à un bricolage astucieux. Mais il ne manque pas de me signaler que tel petit levier, ici, à gauche, risque bien de se bloquer. (Heureusement qu'il me donne ces précisions car désormais, une fois sur deux je devrai me transformer en plombier pour utiliser la chasse. Pas grave.)
(La manette dorée a été rajoutée par l'intervenant. Elle est reliée par un fil doré à un gros écrou censé agir par son poids sur un tuyau de plastique en accordéon lui-même... etc., etc. Bref, tout devrait fonctionner, à moins que...)

Un petit tour à l'air libre, vite. Ça tombe bien car en ce moment nous sommes biens à la pointe de l'Irlande, qui apparaît toute proche sous le soleil.

22_DSCF0241Je retrouve mes amis pour le dîner (17 h 30 précises). Nous sommes tous les cinq plus ou moins barbouillés, surtout les trois jeunes, au teint plutôt cireux. Nous chipotons tous plus ou moins sur la nourriture, sauf Rona. Il faut dire que le recours systématique à l'huile, dans tous les plats du chef Amador, ne rend pas sa cuisine spécialement légère, même si elle est de très bonne qualité. Nous sommes donc d'autant plus sidérés de voir Rona demander du supplément et vider rapidement trois assiettes.

Sur la porte intérieure de la salle à manger, une affichette nous annonce que cette nuit nous devons pour la première fois retarder nos montres d'une heure. Une autre nous invite à une visite guidée de la salle des machines demain à 15 h 30.

GOOD BYE FAREWELL...


Un peu après le repas, je retrouve Stefan sur la plage arrière. Il a juste eu le temps de remonter à sa cabine et de s'alléger du repas qu'il venait péniblement d'avaler, en s'efforçant à manger car il avait lu qu'il vaut mieux ne pas affronter le mal de mer l'estomac vide. Maintenant, il va pouvoir comparer... Son teint est à peu près en harmonie avec son blouson kaki.

23_DSCF0243La pointe extrême de l'Irlande est en train de s'estomper. Que voyons-nous ? les ruines d'un château ou des rochers massifs ? L'endroit ne doit pas manquer de charme.  Prochaine côte : Terre-Neuve, de l'autre côté de la grande mare.

Ce soir, un membre d'équipage fête ses 37 ans. Il est passé à la salle à manger nous offrir une bière que seule Lucy a acceptée. Pourtant, dixit le capitaine, les boissons gazeuses sont bonnes pour ce que nous avons. Je suis un peu sceptique et préfère me fier à mon intuition. Mercalme et dîner léger semblent avoir pour moi stabilisé la situation. Inch' Allah ! L'anniversaire est le prétexte à une “ party ” dans le salon de l'équipage à partir de 19 h 30. Rona et Laurence vont y aller. Pour moi, je me contente d'un passge à la passerelle, d'un bol d'air prolongé à l'arrière (“ Il neige sur le Lac Majeur... ”, le disque tourne toujours), et je regagne mes quartiers.

Le Flottbek tangue pas mal. De mon lit je filme les va-et-vient du soleil qui entre par le hublot avant et danse sur le mur opposé.

24_DSCF0245Contrairement à mes habitudes, je laisse ouverts les rideaux des deux fenêtres. Quelle importance si je me réveille très tôt ? Et puis cela me permet d'assister (mais cela je ne le sais pas encore) au seul coucher de soleil avant le Québec et le passage à Trois-Rivières.







LE COUP DE LA PANNE ?

Vers 21 h 30, je suis brusquement tiré de mon engourdissement. D'un seul coup le moteur vient de s'arrêter, bruits et vibrations se sont interrompus. L'effet est saisissant. Très vite les sensations se modifient : le navire arrête de taper et commence à faire le bouchon, malgré sa taille. Cet événement inattendu me sort du lit. Je pars aux nouvelles. La descente de l'escalier est une petite épreuve : il y a intérêt à bien tenir les deux rampes pour amortir les embardées latérales et verticales, impossibles à anticiper dans ce local aveugle. Le plus impressionnant est de se sentir décoller ou au contraire se tasser sur soi-même. Mais c'est quand même assez drôle, comme un manège de fête foraine.

Au salon, je retrouve Stefan, répandu sur une banquette. Il a décidé d'y passer la nuit (trois étages de différence, ça compte, pour le mouvement de balancier). D'après lui, qui me rapporte les propos de quelqu'un de l'équipage, l'arrêt est dû à un incident d'alimentation électrique mais ne devrait pas se prolonger. Je ne m'attarde pas. La remontée de l'escalier demande autant d'attention que la descente. En entrant dans ma cabine, j'ai la surprise de constater que les machines se sont remises en route. La musique de la party, qui remontait dans la cage d'escalier à partir du niveau 6, a dû m'empêcher de m'en rendre compte.

Un quart d'heure plus tard, nouvel arrêt, nouveaux balancements prononcés. Cette fois je ne me relève pas. Au bout de quelques minutes tout redémarre. Le chef-mécanicien aurait-il voulu nous faire le coup de la panne ?

18 mai 2007

02- Le Flottbek

LE FLOTTBEK en quelques chiffres

Dimensions :

Longueur hors-tout : 169 m
Longueur de la passerelle à la proue : 157 m
Largeur hors-tout (à la passerelle) : 27,65 m
Largeur de la coque : 27,23 m
Hauteur totale (de la quille au mât) : 46,20 m
Tirant d'air (à vide) : 37,20 m
Tirant d'eau (à vide) : 9 m

Capacité : 1600 conteneurs

Quelques caractéristiques :

Le bateau a été livré en 2005, comme ses sisters-ships l'Eilbek et le Reinbek. Leur conception est originale par la forme et la position du château, étroit (dans le sens avant-arrière) et situé tout à l'arrière, pour dégager la plus grande surface possible de chargement. D'autre part, ils sont presque dépourvus de panneaux de cale, ce qui facilite le chargement et le déchargement mais présente l'inconvénient d'exclure (pour les assurances) les conteneurs à contenu fragile. Le guidage des grosses boîtes est assuré par de longues tiges verticales formant glissières pour accélérer les opérations de chargement et déchargement. L'extrémité supérieure de ces glissières est biaisée et peinte de couleurs vives pour faciliter le repérage par le grutier, mais il arrive qu'un conteneur ne se présente pas exactement dans l'axe et heurte assez violemment une glissière. Les secousses se répercutent alors dans tout le bateau.

01__M24_160On voit nettement ici les tiges-guides des conteneurs avec leur extrémité jaune. Les quelques grandes plaques verticales sont des panneaux de cale relevables.

02__M30_62Les cales à conteneurs se répartissent sur les cinq niveaux inférieurs en avant de l'énorme bloc du moteur principal qui occupe lui-même les quatre premiers. On trouve également (liste non exhaustive pour les ponts 5 et 6) :
- pont 5 : salle de contrôle des machines, buanderie, salle de gym
- pont 6 : bureau central, salon de l'équipage, vestiaires
- pont 7 : salon et salle à manger des officiers et passagers, cuisine, salle à manger de l'équipage
- ponts 8 et 9 : cabines de l'équipage
- pont 10 : cabines des passagers
- pont 11 et 12 : cabines des officiers
- passerelle (the bridge), non numérotée (superstition ?)

Rappel de l'adresse pour voir le Flottbek en entier dans des lieux divers :
http://www.shipspotting.com/
Cette adresse est celle d'un site qui répertorie actuellement plus de 50000 photos de porte-conteneurs. Le site s'enrichit tous les jours de nouveaux clichés.

16 mai 2007

01- 24 avril

Mardi 24 avril 2007

Liverpool, à bord du Flottbek


LES SABLES - LIVERPOOL : DE L'IMPREVU POUR SE METTRE EN TRAIN

Inscrire le lieu et la date, c'est facile, mais après... Par où et comment commencer ?

Je suis assis au bureau de la cabine n° 6 du pont 10, réservé aux passagers. C'est l'une des deux cabines doubles. Elle bénéficie de deux hublots : l'un sur bâbord, d'où la vue s'étend sur la ville de Liverpool, l'autre sur l'avant, juste au-dessus du bureau. Sur les photos du navire, qu'on peut consulter à l'adresse suivante :

http://www.shipspotting.com/

mes deux hublots sont les troisièmes en-dessous de la passerelle de commandement. (Pour trouver les photos, à gauche, dans "Search", taper "FLOTTBEK" puis cliquer sur "Search". Dans la nouvelle page, dans la catégorie "Shipsphotos", cliquer sur "Show all results". Une liste plus longue s'affiche, dans laquelle on peut choisir une photo en fonction de la date. Une autre liste peut être atteinte en cliquant en bas à droite sur "Next". Attention : il peut y avoir des photos des anciens Flottbek.
La marche à suivre est la même pour le Canada Senator.)

Si je lève les yeux, j'aperçois en enfilade les flèches de cinq énormes grues bleues. La première procède au déchargement et chargement du Flottbek, arrivé à Liverpool hier en fin d'après-midi. D'autres travaillent sur l'autre porte-conteneurs amarré devant nous. Pour l'instant le bateau est peu chargé. Dans quelques heures, peut-être qu'un conteneur me bouchera la vue sur l'avant. Si c'est le cas ce sera dommage mais, à la différence des quatre cabines du centre, j'aurai toujours une vue dégagée sur le côté.

Le Flottbek est à quai à l'extrémité du port la plus proche de la mer libre. Pour visualiser le port de Liverpool et l’emplacement exact du bateau :

http://maps.google.com/maps?t=k&spn=0.01,0.01&q=53.461,-3.021

01__M24_160Sur le terre-plein qui sépare le bassin du large estuaire de la Mersey, deux interminables hangars, assez bas pour laisser dégagée la ligne d'horizon où je devine, apparemment en pleine mer, un champ d'éoliennes et de vagues côtes : le Pays de Galles ? des îles ? J,aurais dû m'intéresser de plus près à la géographie de la région mais le temps m'a manqué (à ma grande honte, j'avoue même que, jusqu'à vendredi dernier, je croyais que Liverpool était un port de la Manche !)... Sur le terre-plein toujours, trois petites grues bleues, très fines, et trois éoliennes de taille modeste. Une seule tourne - lentement -, celle du centre. Le ciel est plutôt gris (il a plu hier soir et cette nuit) mais le soleil perce les nuages par endroits.

Liverpool... alors que j'aurais dû être aujourd'hui en route pour Anvers, d'où j'ai toujours imaginé m'embarquer depuis qu'à partir de mai 2006 Geneviève, la famille et les amis m'ont offert ce voyage de rêve pour mes 60 ans... Pour la première fois depuis que la ligne existe (Anvers-Montréal direct à l'aller et Montréal-Liverpool-Anvers au retour), le Flottbek va griller l'escale belge. D'abord prévu pour le 15 avril, le départ a une première fois été repoussé au 21, puis au 25, avant que n'arrive, vendredi dernier, un coup de téléphone de l'agence Mer et Voyages : convocation ici même aujourd'hui vers 10 h ou 11 h. Panique... J'ai passé le reste de la journée de vendredi à organiser ma venue à Liverpool : trop chargé de bagages pour prendre l'avion, je n'avais de recours que le train.

Assurer les correspondances n'a pas été très facile (certains trains étaient complets) mais tout s'est finalement passé sans anicroche et, parti des Sables d'Olonne à 7 h, je suis arrivé à Liverpool à 19 h 45 heure anglaise, soit 20 h heure anglaise, après des changements de train à Nantes, Lille et Londres. Le transfert en taxi de gare à gare (Waterloo - Euston), à Londres, m'a juste permis d'apercevoir Westminster et Big Ben, et de passer sur les lieux du sinistre attentat contre un bus, il y a quelques années. Le chauffeur était très sympathique et francophile : il a pris mon parti quand je me suis fait interpeller par un Anglais râleur (mais oui, ça existe !) pour avoir bien involontairement court-circuité la file d'accès aux taxis, et il a été très fier de me montrer les photos de sa maison en Bretagne, une superbe longère. Francophile et, de surcroît, assez francophone pour me commenter les endroits où nous passions. En guise d'au revoir, non seulement il n'a pas accepté de pourboire mais il m'a fait cadeau des 60 pence de monnaie qui me manquaient.

Nouveau chauffeur très accueillant à l'arrivée à Liverpool, après une traversée de la campagne anglaise où la pluie a fait son apparition. Lui aussi m'a présenté les monuments aperçus, moitié en anglais, moitié en français, me signalant que les drapeaux qui décoraient un bâtiment officiel étaient là en l'honneur du prince Charles, présent le matin même.

LIVERPOOL : DE L'ALBERT DOCK AU FLOTTBEK

02__M24_148Je me suis promené ce matin pendant plus d'une heure avant mon grand rendez-vous. Le centre de Liverpool m'est apparu comme un énorme chantier. On voit bien encore ici et là des traces de la grande crise économique des années Thatcher, mais il est évident que la ville est en train de revivre.

03__M24_156En témoignent par exemple les anciens docks (Albert Dock), tout proches de mon hôtel, réhabilités et transformés en immeubles, boutiques et appartements luxueux. J'aurais bien jeté un coup d'œil au musée des Beatles, installé là aussi, mais il était trop tôt. Ces transformations m'ont un peu fait penser à la remise en valeur du vieux Montréal. C'est peut-être encore plus spectaculaire ici.

04__M24_158Nouveau taxi pour rejoindre le Royal Seaforth Container Terminal. Non seulement ce chauffeur-là ne parlait pas un mot de français mais son anglais était pour moi totalement incompréhensible. Il paraît que les Anglais pur sucre ont eux-mêmes du mal avec l'accent des gens de Liverpool. C'est dire... Heureusement je savais que les Reds de Liverpool doivent disputer ce soir leur demi-finale aller contre Chelsea, aussi, quand j'ai réussi à capter le mot “ football ”, j'ai réussi à placer deux mots. Heureusement j'avais sur un document transmis par Mer et Voyages l'adresse et le plan de ma destination et, tant bien que mal, nous y sommes parvenus. Alors que nous roulions encore à l'extérieur du port, j'ai aperçu le Flottbek. J'avais passé trop de temps depuis des mois à regarder et copier ses photos sur internet pour ne pas reconnaître du premier coup d'œil son château à la hauteur impressionnante. Mon excitation a monté d'un cran.

Mon cab arrive au poste de contrôle d'entrée dans la zone portuaire en même temps qu'un autre. En descend un homme jeune (moins de quarante ans sans doute) qui tend son passeport juste avant moi en disant qu'il rejoint le Flottbek (un vrai morceau de chance pour moi, n'est-il pas ?). Je pense qu'il peut s'agir d'un autre passager et je me présente. Lui aussi. C'est le capitaine, juste arrivé de Hambourg pour prendre la relève. Coiffure un peu rock : petite brosse sur le haut de la tête, tempes presques rasées et queue de cheval dans le dos. J'ai un peu de mal à l'imaginer en uniforme galonné. Les premiers échanges entre nous sont extrêmement cordiaux pendant le court trajet qui nous amène, en bus, jusqu'au bateau. J'ai plaisir à comprendre presque tout ce qu'il me dit, alors que je ne saisis rien des propos rigolards échangés entr le chauffeur et les dockers embarqués en cours de route.

05__M24_167

Divers témoignages déjà lus sur les voyages en cargo évoquaient la forte impression ressentie en arrivant au bord du quai dominé par la masse imposante du navire. Je ne l'éprouve pas, tout occupé à descendre mes lourdes valises. En revanche, escalader la passerelle (the gangway) me fait battre le cœur et me salit bien les mains, immédiatement pleines de cambouis. Sur le pont n° 6, enregistrement de mon arrivée dans le cahier de contrôle, dépôt de mon passeport au bureau du bateau où le capitaine partant vient d'accueillir l'arrivant, et où un officier philippin m'offre un café.

06__M24_165Je me retrouve dans ma cabine, au pont n° 10, où mes bagages ont déjà été apportés. Le steward me remet la clé et me présente les lieux.

08__M25_240Ce que je découvre confirme l'excellente impression donnée par les photos transmises par l'agence : tout est impeccable (mobilier Ikéa ou assimilé), très propre et de bonne dimension. Les hublots sont de véritables fenêtres (hermétiques) qui dispensent une lumière abondante, la salle de bain est très complète et accueillante. Il n'y a aucun doute : ma cabine est beaucoup plus vaste et confortable que la chambre du Formule 1 où j'ai passé la nuit dernière.

La cabine n° 6 (le hublot bâbord surplombe le lit de gauche)

07__M25_235L'heure du déjeuner approche et je redescends au pont n° 7. Au salon puis à la salle à manger, je fais la connaissance d'autres passagers (je les présenterai un peu plus précisément plus tard). Il y a là Michael, Hollandais, arrivé de Montréal hier par le Flottbek et en attente d'une correspondance cette nuit ou demain pour rallier Anvers, Lucy et Stefan. Pendant le déjeuner nous sommes rejoints par Rona et nous le serons en cours d'après-midi par Laurence (qui, comme son prénom ne l'indique pas en français, est un garçon). Dès les premiers instants, le contact passe très bien entre nous. A l'évidence, le choix de voyage qui nous est commun est un facteur important de rapprochement et facilite la simplicité des échanges, malgré (pour moi) la barrière de la langue.

Selon toute vraisemblance, les journées à venir vont être ponctuées par les repas : petit-déjeuner à 7 h 30, déjeuner à 11 h 30 et dîner à 17 h 30 (de longues soirées en perspective). J'ai l'impression qu'en dehors de ces points fixes, chacun peut vivre sa vie indépendamment des autres, ce qui n'empêche pas non plus les rencontres, bien entendu.Salon 

Salle___mangerSalon et salle à manger des passagers et officiers

De bâbord à tribord, sur le pont n° 7, on trouve le salon de détente des passagers et des officiers, la salle à manger pour les mêmes, la cuisine et la salle à manger de l'équipage. Celui-ci dispose aussi d'une salle de détente (mais pas plus grande que celle des officiers et passagers) juste en dessous, au niveau 6. Dans les deux salons on trouve des tables, des fauteuils, des banquettes confortables, un téléviseur à grand écran plat, un lecteur de DVD (et une collection de films), une mini chaîne Hi-Fi.

UN PLONGEON POUR SE METTRE DANS LE BAIN

Après le déjeuner, je laisse mes compagnons en conversation avec le capitaine et l'officier chef-mécanicien pour regagner ma cabine, défaire mes valises et m'allonger un moment. Je vais bien le regretter car, pendant ce temps-là, Rona, Michael et Stefan sont invités par le capitaine à participer à l'exercice de sécurité avec le grand canot de sauvetage. Celui-ci est arrimé à bâbord arrière entre les ponts 7 et 8, sur une rampe très inclinée, l'étrave pointée vers le bas. L'exercice consiste à laisser le canot plonger dans l'eau (les occupants étant invités à bien se tenir, bras tendus, pour amortir le choc) et à effectuer quelques manœuvres dans le bassin.

Je rate donc ce tour de manège qui impressionne beaucoup mes nouveaux petits camarades. Nous venons tout juste de faire connaissance, il est normal que ceux-ci n'aient pas pensé à me prévenir de cette attraction inattendue. Il est hors de doute qu'un peu plus tard ils n'auraient pas manqué de le faire, sachant mon avidité de découvertes.

13__M24_170Nous nous retrouvons juste après que le canot de sauvetage a retrouvé sa place et, casque sur la tête, nous descendons sur le quai pour mieux voir le Flottbek, observer les manœuvres environnantes et prendre quelques photos.

Au bout d'un moment nous sommes priés de regagner le bord par un agent de sécurité du port. Nous poursuivons nos observations à partir du pont n° 7. Les chassés-croisés des engins donnent le tournis.

17__S_21Les grues arrière du Flottbek embarquent le ravitaillement. (Photo de Stefan)

18__M24_175Un petit pétrolier est amarré à couple le long du flanc bâbord ; il remplit les cuves de notre navire, qui consomme 50 tonnes de fuel lourd par jour.

19__M24_179Un peu plus tard, le deuxième officier (philippin), à l'anglais pour moi incompréhensible mais aux gestes expressifs, nous réunit pour les consignes de sécurité : matériel à prendre avec soi (casque, gilet de sauvetage, sac avec combinaison de survie), gestes à effectuer... Deux procédures sont prévues : regroupement à l'arrière sur le pont extérieur n° 6 ou au niveau du pont n° 8 pour embarquement dans le canot (the lifeboat) en cas d'abandon du navire. L'exercice mensuel grandeur nature (the drill) est annoncé pour samedi.

Après cette démonstration, Michael, en sa qualité d'ancien, nous montre les lieux auxquels nous pouvons accéder librement, en dehors des ponts extérieurs n° 7 (toujours) et n° 6 (sauf pendant les manœuvres au port). Ce sont la buanderie et la salle de gym, minuscule : on y trouve deux vélos d'appartement, un sauna individuel, une chaise longue et une douche.

20__M28_30J'ai bien l'impression que, pendant la traversée, l'exercice physique va se limiter à monter et descendre les deux escaliers (intérieur à bâbord, extérieur à tribord) qui permettent de circuler du haut en bas du château, en deux volées de marches entre les niveaux. (Cette impression s'est avérée juste : mes compagnons ont utilisé la buanderie mais, autant que je sache, ni eux ni moi ne sommes jamais retournés à la salle de gym.)

UNE SOIRÉE DE TRANQUILLE IMPATIENCE

Il est 20 h 30. Je viens d'avoir une longue conversation avec Reagan, le steward, à qui j'avais demandé de venir vérifier le fonctionnement de ma chasse d'eau récalcitrante. Mon anglais est toujours aussi chaotique mais comme toujours en tête à tête avec un non-anglophone de naissance, j'ai à peu près réussi avec lui à dépasser mes complexes, bien aidé par sa grande gentillesse et par le fait que son anglais à lui n'est pas non plus parfait. A 23 ans, il effectue depuis septembre dernier son second séjour sur le Flottbek et il ne reverra pas sa famille et sa petite amie avant février prochain. Dur, dur... (D'après les renseignements glanés ultérieurement, le salaire mensuel de Reagan serait de 800 $ – pour des journées de travail de combien ? 12 h ? 14 h ? La petite amie, dont il parle volontiers, n'existerait que dans son discours...)

21__S_58

Reagan (à droite) en compagnie du cuisinier Amador (Photo de Stefan)

23__S_12La nuit est tombée. Il pleut. Sur le quai la ronde des engins continue à la lumière des phares et projecteurs. La grue qui charge et décharge le Flottbek soulève, repose encore et encore. Une secousse se fait parfois sentir jusque dans les cabines mais le plus souvent on n'entend rien qu'un grondement sourd et le souffle de la climatisation.

Quand un conteneur passe juste devant la fenêtre de la cabine (Photo prise par Stefan plus tôt dans l'après-midi)


Je ne suis pas un fana du téléphone portable mais c'est quand même une belle invention : depuis mon départ de la maison hier matin, j'ai pu signaler à ma chère et tendre mes différents passages à Lille, Londres..., l'informer de mon embarquement et des prévisions de départ. Aux dernières nouvelles, mais il y a des contradictions selon les interlocuteurs, nous devrions quitter le quai demain matin soit à 4 h 30 soit à 6 h. Je vais régler la sonnerie du téléphone sur 4 h 15 pour être sûr de ne rien manquer. Je ne sais pas encore à quel point d'observation nous pourrons avoir accès pour assister au départ. Il semble bien en tout cas – d'après ce que m'a dit Reagan – que la vue sur l'avant, à partir de la cabine, sera bouchée par des conteneurs. C'est étonnant car, pour l'instant, le bateau paraît toujours presque vide.

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